Mi(s)ScellaneaCorine

Mi(s)ScellaneaCorine

C'est rapide, le Pacifique, Jojo

 

 

 

Mon nom est Daniel, Daniel tout court. Je ne suis qu'un exemple, un échantillon. Mon port de départ était classique.

Je ne sais pas combien d'heures supplémentaires je fais aujourd'hui dans la rue. J'ai un presque toit, malgré tout et j'y tiens. J'en suis presque fier. 

La société que je connaissais, c'était avant pour moi une Communauté, avec une belle majuscule comme un prénom fraternel. C'est difficile de savoir comment parler de tout ça sans vous retenir longtemps. Excusez-moi pour cela, mais vous êtes libres de partir, à tout moment. 

 

 

 

"Ensemble".

J'y croyais. Je ne peux pas affirmer n'avoir jamais jugé. Ca se dit beaucoup, pourtant, « je ne juge pas ». Je ne dois pas être normal.

On dénonce, l'anti-sectarisme, oui, très bien, mais il y en a plusieurs. Tous ne semblent pas gênants.

Il faut « faire du sens » pour soi et être indulgent envers l'autre. C'est superbe, c'est ce que j'aime. On en disserte statistiquement plus entre "Psycho Magazine" et "La Croix". Ce sont aussi des sujets de magazines sur 3-4 pages, de livres de rayons spécialisés traitant de "santé et forme" (j'aime moins), ou de traités de Sciences Humaines, ..., ...,

 

On avale des mantras modernes comme des pilules pour mieux vivre. Ils sont bons. Mais comment les digère-t-on ? Et combien de temps faut-il pour les assimiler, ou les expulser ?

Ca dénote. Il y en a qui appliquent, des gens bien, des gens vrais. D'autres qui ont bien appris les leçons, s'approprient ces antiennes (qui durent !), mais sur qui elles ne déteignent pas. Si encore ils n'en parlaient pas. Je n'ai pas cité le mot "empathie" qu'ils ont appris par cœur. Je sais en avoir déjà parlé. J'en vois tous les jours. Je les désignerais bien comme des laïques de la solidarité, les aveugles de l'auto-critique. Ils prêtent serment, mais ne pratiquent pas. Ca ne signifie plus rien !

Suis-je, moi, un saint ? Non. J'aime les gens un par un. Les groupes et l'hypocrisie m'ont usé et font de moi un misanthrope de la masse. Je ne les comprends plus que dans leur douleur. Je n'ai plus d'humour depuis longtemps. 

Il n'empêche qu'on construit toujours de nouveaux ghettos. Des tas d'ensembles qui ne se touchent pas. 

 

 

Je ne tiens personne pour responsable des décisions que j'ai prises. Je couche ces lignes sur l'exclusion et sur l'équité. Car j'avance le droit à l'invulnérabilité d'une identité. La balle a traversé le filet, mais n'a pas tout déchiré.  

On ne leur demande rien, mais il y a ces regards alignés où chacun essaie de jouer le bon élève, celui qui regarde l’autre, au besoin lui jette les défauts qu'il ne supporte pas chez lui. Ca commence très tôt.  

 

Je connais depuis quelques années des gens aux regards de cimetières : « que fais-tu, toi qui n’est plus des nôtres ? ». A croire qu'ils ont peur que moi ou d'autres infortunés les précipitions dans la fosse. C'est pourtant dans leurs yeux que je sens les ténèbres. 

 

Couper l'écoute quand la distance est trop grande pour pouvoir se comprendre. 

 

J'écris pour moi, comme on pousse un cri sur la folie obèse pour se sauver des fous. Il y a une multitude de folies ordinaires, celles qui ne choquent personne.

 

Le temps a passé mais c'est allé très vite. Je suis dans le même chaudron où je bous, où je fonds et coule mon existence. Je n'ai presque plus rien. 

Je me permets de vous raconter une page de mon histoire, car mon insignifiance peut devenir celle de beaucoup. Il n'y a pas même pas besoin d'être mauvais dans ce que l'on fait. Je ne l'étais pas.

Pour se retrouver très bas, dans le monde social, il suffit de dégainer un matin le courage que l'on ne possédait pas avant. J'ai souvent considéré, quand je l'exerçais, ce métier comme un choix inadapté. Il me ressemblait si peu. Je me suis souvent reproché ce que j'appelais ma « lâcheté de la feuille de salaire ». Ne pas être un raté, ne pas avoir essayé d'essuyer l'échec, ne pas avoir risqué gagner. Rester là, dans un bureau au milieu de ces feuilles, de ce stress et de ces ragots.

Ironiquement, je pourrais dire ici, tel que je l'écrivis en guise de plaisanterie à une personne qui n'avait rien à y voir, que je faisais preuve de stabilité sur mon CV, en dépit de sa "suspecte" diversité : j'entretenais un rapport d'une stabilité fidèle, inaltérable, avec ce métier : je ne l'aimais pas.  Ce qui me préservait pas du contresens de l'exercer jusqu'à une perfection maniaque. Jamais nous ne sommes menti. C'était un lien indéfectible d'aversion. Lui et moi entretenions la conviction que ce serait jusqu'à ce que le plein octroi des annuités nous sépare.

 

Ouais, sauf que.

 


Démission. Un abandon de lutte pour de menus appointements malgré un beau parcours, des employeurs qui vous croisent et font semblant de croire que l'on dort sous les tuiles de l'entreprise, sans plus de besoins, ni d'envies, qui oublient vos qualifications. Ils ne vous ont pas embauché pour vos beaux yeux, pourtant. Après des arguments, après l'attente, après des efforts, après des réussites. Et beaucoup de foutage de gueule, pour parler poliment. On ne peut pas dire que j'étais passif. Que j'avais la langue dans la poche non plus. Il n'empêche que la balance devenait ridicule. Je le sentais, ce chantage, soutenu par les temps qui courent. Il faut une carotte pour menacer. Je la discernais de moins en moins.  

Sort de là si t'es un mec : je l'ai pensé et j'ai cru juste de m'obéir. J'ai mis les voiles. 

 

Je ne l'aurais jamais regrettée, cette démission, mais ce n'était plus le moment. Les œillères que je décollais déjà pour les remettre, un quart de temps, il fallait les ôter définitivement, mais avant. Je ne sais pas quand. Muter et éviter un jour l'implosion, la vraie, les bombes qui ne cessent d'exploser à l'intérieur, puis vous dépassent, dans tous les coins. Et pourtant - soyons aussi mesquin qu'eux 1 minute - mon rival était plus âgé, moins qualifié. Allez savoir pourquoi, c'est lui pourtant, hystérique de rage un jour, qui resta. La tache qu'il fit, bruyante économiquement gênante, fut effacée.

 

Ce n'était pas un coup de tête. Lorsque j'ai énuméré mes motifs de départ sous une accumulation de raisons, deux personnes de Paul nom de famille Emploi m'ont dit : « mais qu'auriez-vous pu faire d'autre ? ».

Pour vous dire que ce n'était pas spécialement expéditif.  

Si. Si j'avais su, je me serais battu jusqu'au bout. J'avais toujours rebondi. J'aurais mordu plus fort et qui le méritait.  Je sais que je n'aurais pas perdu. 

La crise de 2007 s'était déjà montrée, j'étais passé par-dessus. On me m'avait pas vidé. Je n'étais pas orgueilleux mais j'avais l'expérience de ces saute-moutons. Je trouvais. 

Plus on réchappe de justesse à des accidents, plus le danger est grand. On croit le connaître, on croit conduire. Le virage risqué, on le prend plus mal qu'un autre en "sachant" les yeux fermés.   

 

J'ai compris lors de silences d'entretiens que la multiplicité des postes que j'avais occupés  n'était pas analysée comme une aisance à l'adaptation, mais comme une preuve de versatilité préoccupante.  

  

 

J'ai espéré une reconversion, quelque chose qui serait plus proche de ce que je suis. A bas la feuille de salaire et la sécurité. je n'avais pas de métier en tête mais des sens à suivre, des aptitudes prouvées, d'autres à approfondir. j'avais l'esprit prêt à la découverte, sans naïveté, mais prêt au changement, actif. Qui ignore le chômage ? Il m'avait laissé si longtemps dans la réserve ... Je n'étais pas spécialement gai. J'étais contre ce qui croule. J'étais contre baisser la tête. 

J'étais pour l'humanité. J'étais parti aussi pour cela : «  un métier plus humain et pas qu'en façade ».  

J'ai rencontré des inconnus se disant « pleins d'imagination » pour moi. Un temps crédule, avant de chuter complètement. J'ai connu les boutons de l'ascenseur qui ne se bloquaient jamais, mais des étages que je n'avais jamais pris. Plus bas, plus lents, sans un arrêt entre deux, jusqu'à bouffer de la nausée. 

 

 

Dès ma plus verte jeunesse, en bon idéologue, je n'ai jamais pensé qu'il fallait être économiquement "utile" pour être bel et bien vivant ! Un être n'a pas à se justifier d'exister. J'ai toujours prêté attention aux clochards dont je pense qu'il aurait suffi de peu pour qu'ils n'en soient pas là. Ecoutez-les. Ce sont loin d'être des imbéciles. Vous en trouverez bien davantage qui ne comprennent rien dans de beaux sièges. Ce n’est pas une condition de cause à effet, mais ça arrive bien souvent. Bien trop. Mal trop, plutôt.

Je ne dois rien à personne. Je n'ai pas risqué, je n'ai pas eu assez de gourmandise. Je parlais de la couardise de la feuille de salaire, mais je suis un peu dur ; j'avais pour obsession d'être libre, de ne jamais rien demander. C'était ça pour moi, la liberté. Souvent, dans ma vie, je n'ai pas assez osé pour cette raison première. 

 

 

Les mois, les chocs de toutes autres sortes, les coups ont porté. Mon visage a changé à force de se crisper pour ne pas craquer. On disait que je souriais si fort, si large, si clair (je cite).
Il arrive ce moment où je vois ces regards si particuliers d'étrangers que je ne connaitrai jamais qui se posent sur moi, mais sortent déjà des creux de mon visage. Il y a une gêne à voir les tourments, même ceux dont on essaie d'avoir la pudeur de les dissimuler (c'est bon sur commande à la télé-réalité, en gros plan et puis on peut zapper).

Ils me regardent comme s'ils hésitaient à croire que j'existe, où me mettre. C'est un état que je n'ai jamais connu : nos irrécupérables différences sont encore plus criantes, mais je n'ai pas honte. Je me demande juste ce que je fiche encore là.
Je trouve déplacé d'une société qu'elle contienne tant de réalités glacées sur des paroles soyeuses, Je, on ne demande rien, surtout pas de nous mentir sans nous trouver de cases si l'on n'a pas d'évidence. Le réaliser est encore plus brutal.


Avoir toujours quelque chose qui dépasse. Depuis le début, c'est ainsi et ça semble entendu, évident. 

J'ai l'impression de regagner le pays de l'absurdité, mais d'y avoir sauté encore plus loin.
J'ai fait un choix, mais pas celui-là. Les gens... La distance est si longue. Je n'ai plus de bouclier autre que mon indifférence, leur mise en relativité. Mais je ne suis pas trop doué pour ça. Mon indifférence souffre de points de côté.

Du temps de nos espaces communs, j'ai toujours trouvé normal d'entendre rires et lamentations, de les écouter. C'était même enrichissant, sans voyeurisme, ça, ça m'aurait écœuré. Je crois qu'on se fait toujours du bien de donner. Je ne regrette rien de cela.
Je déteste l'amertume, c'est un mot que l'on entend sans arrêt. Je crois qu'on la confond avec un profond chagrin. Peut-être faudrait-il écrire là-dessus.

Je suis encore là parce que j'ai toujours cru qu'il y avait des portes. Je n'ai jamais perdu la jeunesse de pouvoir être surpris. C'est étonnant, d'ailleurs j'ai une aussi grande capacité à la méfiance, qu’au cynisme et à l'épatement ravi.

Certains matins, j'ai pu me dire qu'il y aura forcément une ouverture qui laissera passer le son. Je regrette de vivre dans ce froid glacial.

 

 

Je fais toujours de nouveaux points du parcours. C'en est un. Que reste-il encore, bon sang ? Il n’y a pas que le travail, bien entendu. Je suis sorti de gravats de mots et de ruines, comme on découvre qu'on est immortel dans un monde où il n'y a plus que soi. On peut avoir le talent de mourir en une fois. C’est une chance, un art irréfléchi, celui de la vie, cette grande irresponsable. Ca se rejoint. D'autres meurent en plusieurs fois, par petits bouts, à grand feu. Je ne sais pas si ce sont ces derniers qui sont à envier, vraiment. J'en fais partie.

Par mon désespoir dans ma vie en guenilles, j'ai abîmé sans le vouloir. Ca, c'est plus compliqué. Ca fait partie des puzzles.

L'angoisse a lâché un peu à ce moment-là, surtout parce que je ne voyais plus quoi craindre.

 

Et pourtant le croiriez-vous ? C'est moi que l'on appelait pour avoir une épaule, car il n'y aurait eu « personne comme moi ». Je ne l'explique que par l'instinct que donne l'habitude. 

 

J'ai continué à changer, à tenir, je me suis appris à rester au départ par colère, puis surtout jour après jour, pour ceux qui m'aimaient encore, que je voyais un peu. Ceux pour lesquels j'étais un soutien inexplicable ont fait beaucoup pour moi, mais ne l'ont pas compris quand je le leur ai dit. J'ai tenu par hébétude aussi, il faut bien le dire. La poudre blanche des cachets et les associations sont revenues, avec leurs effets secondaires et pire : la perte des mots, du temps, le manque de repères des mois, de la saison pendant quelques secondes, la difficulté dans les comptes. Je n’aurais pas su ce que je me faisais, j’aurais pensé à un Alzheimer précoce.

 

L'alarme du téléphone sonnait, ne me réveillait plus.

Tout était fait pour que je continue pas et j'ai tout fait pour qu'il en soit ainsi.

 

Je n'ai plus avancé. Je suis pas allé de saison en saison. Elles sont passées sur moi. J'ai laissé faire, sans rien voir. 

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Il y a d’autres bureaux où je m'assois en tant que cas social. "Un cas sos" que l'on essaie de caser. 

J'ai survécu, je suis plus que jamais un combattant. Un combattant qui explique la société. Ils ont mon dossier. Ils dodelinent à mes discours qu'en effet, "ce n'est pas faux"... Je crois qu'ils pensent que je suis un peu fou, un fou de vérité, un fou dont la logique se tient, ils se demandent comment, mais qui dérange. Fou, il est possible que je le sois devenu. L'un d'entre eux m'a suggéré que je devrais partir en vacances, qu'on y a droit. C'est vrai que ça tache, tout ça. C'est mieux montré, ça passe mieux, la misère, au cinéma. Pourtant, on paye. Une histoire de lumière, sûrement. Moi c'est gratuit, mais il n'y a pas d'écran. Je déstabilise, j'importune. Les films sont éloquents. Ils ne suffisent pourtant pas. Ils me raccompagnent poliment sur leurs seuils.  

 

Je suis un quiproquo à quasiment chaque rencontre, de quelque sorte qu'elle soit. Du coup, je me sens obligé d'expliquer un peu qui je suis, après les questions formatées, quand cela m'est nécessaire. Je dis bien "m'est nécessaire" car rien n'en ressort. Je repars et soliloque, mon dossier et mon échine un peu plus vieux.   

 

Un jour, on m'a fait faire un bilan de compétences. C'était un peu avant d'être estampillé "cas sos". Je me souviens si bien de ce matin-là. Les nuages étaient très sombres, j'ai pensé aux bouchons. C'était un matin de janvier. Il aurait fallu ne rien allumer, ne rien apprendre. Le tonnerre a éclaté dans la radio. Elle, elle n'a rien senti.  

Ces voix... Incapable de réfléchir, je suis parti en mode automatique. La psy de la boîte de reconversion à dû se demander pourquoi j'étais si émotif et comment elle allait dé-gondoler son questionnaire. Pour mon nez concurrentiel en ce début d'après-midi de celui du regretté Robert Dalban, elle ne pouvait rien faire non plus et semblait s'en contreficher. Je me contrefichais qu'elle s'en occupe. Elle a brièvement regardé les arbres bouger et le ciel. On ne regardait pas le même. Le roseau s'était brisé. Une autre mort s’est investie en moi. La noirceur s'est installée plus confortablement, elle savait qu'elle avait de la place et prospérerait de l'essence des soupirs. 

J'ai coché des cases, j'aurais pu dire n'importe quoi. Je ne l'ai pas fait, mais je me rappelle, cet après midi-là, ne plus avoir compris sur quel degré étaient à prendre des expressions élémentaires que l'on connaît depuis l'enfance. En quelques semaines, je n'ai rien appris sur moi. L'avenir avait perdu sa créativité. Sans doute avait-il vieilli aussi.     

  

« For some a hole has been ripped in the universe and we are lost (...) A rift has opened between those who know and those who don't » (Suzanne Moore)

D'autre roues se sont mises à tourner. Il y en a tellement qu'il n'y a plus d'obsession. 

 

 

 

 

 

La dépression, c'est aussi ses phrases qui s'envolent, ces lieux de n'importe où, n'importe quand, où on n'a plus aucune pudeur à parler de soi. Parce qu'on n'accorde aucun prix à ses mots avec ce sentiment que ceux-ci n'iront nulle part, que tout sera perdu dans quelques minutes. Ceux qui s'adressent à vous vous voient en regardant au travers et vous guère mieux. Vous parlez d’autre chose qu’eux. Vous répondez sans filtre parce que vous n'avez plus la force d'en poser. De toute façon, ils ne vous comprendront ni ne vous « sauront » jamais.

Pour ce qui m'importait, tous ces gens à qui je suis contraint de répondre, je ne donne que des puzzles minuscules dont il serait impossible de recréer l'image d'origine.

 

Comment vivre si longtemps. Ce n'est plus vivre, mais passer. C’est si long, d'autant plus que ça se répète.

En anglais, ils ont une belle expression : to pass away. Voilà, on traverse vers ailleurs. On décède, en fait, pour parler vertement. Enfin vertement. Je vous ai dit que j'étais cynique. Notons que "pass" a aussi un sens de réussite; d'aboutissement, donc. 

 

 

Un toit, ai-je dit, un abri, mais tous ces matins précoces ou ces nuits tardives où l'on oublie quel nom portent leurs jours. Les lundi, des mardi, des jeudi que l'on reconnaît à la couleur des poubelles des maisons voisines. Je sors la mienne dans le déchet de mes idées tout en me disant que je suis pathétique. Mais comme on dit, hein, « ne sombrons pas dans le pathos » !

 

J'ai su la valeur de ce qui était avant automatique, celle de ce « bon weed-end ! ». Vous ne pouvez pas savoir ce qu'ils manquent, ces 3 simples mots, que l'on n'attend plus, que l'on méritait. Avant. Le week-end était une fenêtre, le bonus. Il est le sel des semaines qui manque, le sucre se fait attendre aussi.

 

 

 

 

 

 

 

Je me rassois en face d'eux et leurs cravates. Certains sont aimables, attentifs, compréhensifs, d'autres ont des sourires grinçants, des paroles toutes faites d'une bêtise qui effraierait un requin marteau. Vous mourez d'envie de les assommer avec l’instrument de l'animal.  

Rebelote. Les raisonnables respectueux pensent peut-être « il perd la raison ». Penchent-ils vers cette version ou celle d'un excès de conscience ? Possible, mais quelle importance ?

Une vague gêne effleure de temps en temps : le non-sens général que je ressens me fait toujours autant souffrir. Le but n'existe plus. J'ai essayé d'en recréer, des buts, avec leurs têtes et leurs corps de rêve en nuages, mais ils s'effondrent, un par un attaqués aux cervicales. Encore un objectif qui tombe sous les balles. Alors à quoi bon. Ils me parlent, ces gens

Oh, ça n'est pas tout à fait de leur faute. Ils sont habitués à ne plus y croire, ils sont dressés aux chiffres, au profiling. 

J'ai dégoté sans leur aide un CDD de 3 mois que j'ai mené à son terme. Puis un faux CDI dans un secteur où je n'avais jamais mis les pieds. Au bout de quelques semaines, celui que je tenais pour mon boss était parti en vacances. Quoi de plus normal en été ? Néanmoins, en apparence, il paraissait vital que cet homme coupe chaque semaine de sa paix estivale pour remettre les pieds à son bureau. Ou bien était-ce une paranoïa à mon encontre : se disait-il « que fait-il ? Travaille-t-il ? Chaparde-t-il ? » Non ! On change de jour de visite pour la surprise si on est un tout petit peu malin. Je me posais des questions, mais ne me doutais de rien quant à la forme vicieuse de son raisonnement. J'ai, pour la première fois de ma vie connu l'humiliation d'être attendu dans un bureau à la première heure, pour m'entendre dire « qu'on allait s'arrêter là ». Le mec, était revenu de ses congés exprès ! On s'était vus la veille (lors d'une de ses pauses hebdomadaires de flemme). La veille, il était tout sourire, mais avait calculé qu'au terme légal de 14 jours, il en manquait 1 pour rompre ma période de test. Il fallait tout faire dans les règles, au moins pour ça. 14 jours de préavis, pas avant, ni après. 

Il m'avait dit s'ennuyer comme un "rat mort" en congés. J'ai vu ce matin-là sa façon d'enjoliver sa vie de rongeur. J'ai vu son sadisme. J'ai tu le tsunami qui m'agitait - spécialement quand il m'a demandé, avant de repartir : « ça va ? ». C'était si clair à présent ! Il m'a fait signer avant de tourner les talons. 

Je lui ai sorti proprement tous mes arguments de réponse la semaine suivante, quand il s'est repointé. Il était scié. Il a reconnu. Ca m'a aidé, mais ne m'a avancé qu'à ne pas me déprécier. J'ai dû, grâce à sa combine, partir sans prime de précarité. Il fallait que j'abatte du travail durant quelques semaines ; que j'éponge avant que ne grossisse le retard, retentissement inévitable des vacances d'un salarié en poste (un vrai) à ses côtés depuis quelques années. C'était ça, son projet,  c'était tout. 

Il a quand même eu le culot de me lancer en grand seigneur : « je ne dirais rien de mal de vous » !!!??!

 

L'année suivante, ce même employeur a fait le cadeau d'un CDI à la même période, ainsi que l'année d'après ! Je ne me suis pas tenu au courant des suivantes. A cet homme, il n'arrivera rien, mais après un mois, en pleine période de test, il rompra les contrats de juillet-août de ses employés précaires, comme il l'a fait avec le mien, sans avoir à verser d'indemnités. Le manège se répétera jusqu'à sa retraite. Il avait 60 ans lors de mon bref passage. 

Tout est permis. CA, je ne l'avais jamais connu.

Après, nous, il faut qu'on s'explique sur les trous de nos curriculum vitae et ça, ça ne se raconte pas en entretien. Malgré ma prudence et mon imagination, je n'ai plus jamais été embauché.

 

 

J'ai appris à déconstruire la déconstruction, à ne rien laisser tomber, même une page FB quand j'avais encore la connexion. C'est assez difficile, d'ailleurs, d'être à l'aise dans ces vies et ces photos si normales.

 

En 2017, j'ai rencontré la folie, la vraie, pas la mienne. Ca a été hard. Je jugeais, moi, (encore !) je l'avoue, ceux qui évitaient le contact avec elle.

Plus on est proche, plus ardu il est de ne plus échanger trois phrases censées face à quelqu'un qui se croit sain d'esprit et délire, devient même dangereux, aligne des couteaux, sales, pointus, longs. Vous passez pour monstrueux de vous protéger après avoir aidé, avant qu'enfin la vérité ne se montre au-delà de votre famille. Pas pour tous. 

 

Les inventaires de mon atrophie économique se poursuivent. On ne peut pas vraiment parler de bilans. Check up, check out. On n'avance pas, plus personne n'y croit. Je sais que quelques secondes après mon dos, ils regarderont leurs stylos ou leurs montres, tout à leurs affaires.

Je ne suis pas un souvenir, je suis une image oubliée, inaudible par trop de son.

Rien ne compte. Et pourtant, tout est vrai. Il n'y a pas un mot à retoucher dans ce que je relate. C'est ce que je m'exige encore : la vérité. Et encore même pas toute, mais ce qui est dit répond à ce mot : vrai.

Il n'y a plus le « moi » d'avant. Comment comprendre ? La force d'aller à l'essentiel me manque depuis longtemps.

Ce n'est pas un monde de caresses et ce qui est cassé se jette. Ou bien on accorde un temps. Et on se sent bien. D'ailleurs regardez, on ne parle qu'aux clochards qui ne pleurent pas, un moment et on se sent bien.

Je voulais bâtir. J'ai glissé sans y croire, parce que je perdais pied sans comprendre pourquoi, parce que les raisons déraisonnaient de toutes mes entreprises avec de moins en moins de plaisir long pour soutien fiable. C'est comme ça que tout est tombé. Tiraillé dans tous les sens, entre mes paroles sages auxquelles je n'ai pas eu le bon sens de croire et les philosophies ignorées que j'ai découvertes trop tard. Maintenant, personne ne me regardera comme je suis pour me reprendre vers où j'aurais pu me rendre et me dire par où passer.

Le futur craque comme l'amour brûle de ne pas jaillir. Il y a bien une sortie qui ne fait pas mal ? Parce qu'ici, l'enfer a oublié de régler ses thermostats. Ca remonte. C'est pour ça qu'il fait si chaud. Il paraît qu'ils n'ont plus de mécanos.

 

 

Il y a quelques mois, j'ai reçu une convocation. J'ai cru qu'il y avait erreur. J'ai essayé d'en rire. Mais non. C'était un foyer d'errants.

Je suis plus fort, puisque j'ai pu relever la tête.  

Dans ce coin de la ville, il y a depuis 2 ans un centre psychiatrique - je l'ai appris après.  

Dans la rue du lieu où j'étais attendu comme d'autres pour une nouvelle forme de mise au point, derrière une porte de voiture, un homme a surgi comme un diable rouge, a pissé fièrement et m'a appelé, sans doute pour que je l'imite.

 

J'ai regardé le centre des errants. Je suis entré.

 

 

Vous m’auriez connu. Tout ce qu’il y a de plus efficace, tout ce qu’il y a de plus aimable. Et je l’étais. Nous sommes des millions qui croyions choisir, nous avons pu perdre faute de prise de décision, ou faute de trop. 

N’oubliez pas vos rêves, mais faites attention à vous.

 

 

Je ne cherche pas à plaire. Je ne fais plus rire, je n'ai plus de famille, mais j'ai quelques amis, je me suis rattaché à notre lien social.

Ils ne posent pas de questions. Mon pote m’a invité à boire un coup : « Salut Dany, viens, on va faire la pêche au futur.»

- Ah ! Le Pacifique, Jojo !

- Et les filles de l'Amérique ! 

- 'Me lâche pas, Jojo. ne fais pas le salaud. 

- Non. On va s'le faire, not' Pacifique ! 

 

 

 

 

                                                                  Corine 

 

 

 

 


 

 

 

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31/08/2018
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