Mi(s)ScellaneaCorine

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LEURS REMINISCENCES

Evidemment, ce n'est pas du politiquement correct - si prisé - mais il n'y a rien de politique dans mon approche du sujet. Peu importe.  

 

 

Il y a, dans l'ornière que laisse le passage des générations, cette marque que nous regardons de gré ou de force, avec laquelle il faut faire, chaque fois seul. Seul dans notre manière de nous familiariser avec les images et les mots des autres, qui prennent racine et s'étendent en nous comme un réseau de cicatrices que l'on ne reconnait pas.  

Il arrive que l'on commence à vivre en nous opposant à la souffrance, à leur mémoire, en essayant parfois en vain de les sauver de la douleur. 

 

Ce billet parle de ce que d'autres ont vécu, chacun avec ses reconstitutions exclusives.  

Je ne vis pas tous les jours avec, mais cela fait partie de moi. 

 

 

 

 

 

Quelques mots personnels sur un sujet controversé : l’Algérie,

Ce fut un départ, mais aucun de ceux qui y naquit ne s'en détacha. Ce fut une séparation qui ne quitte rien. L'organe ombilical demeura sanguinolent, comme s'il avait été mordu. La terre mère pleurait d'entendre ces bateaux. De ses filles et ses fils devant désormais se confondre à « ceux de France » nombreux étaient-ils à n'en rien connaître. Cent trente(*), quatre-vingt, cinquante ans plus tôt, ils venaient de partout, mais les racines ne signifiaient plus grand chose. L’allégeance à l’Algérie avait tiré un trait sans douleur sur leurs ascendances.

 

La France. L'adoption était abusive, d'un côté et de l'autre. Ces enfants-là la désiraient aussi peu que leur patrie de papier, contrainte de les accepter. Ils se firent violence de poser un pied sur le sol. « Qu'on les jette à la mer, qu'on les fusille » dit même un “grand homme” de Marseille qui ne gardait en tête que des caricatures et ne comprenait pas tout de l’amitié liant les peuples d’une souche commune (Arabes, Italiens, Français, Espagnols,...). Bien sûr, tout n’était pas idéal “Là-Bas”, mais il était impossible de lui expliquer que partout, il y a des salauds, et des gens beaux qui ne voient pas tout et surtout pas le mal, qui continuent à parler fort, à pétrir la pâte, à mélanger les langues, à inviter sans façon, à être heureux, à avoir leurs emmerdements. Il faut plusieurs versions pour s'approcher de la vérité, parler d'un peu moins loin, venir et rester un peu plus longtemps. Alors qu'il fallait incontestablement étudier et procéder à des réformes, lui comme ses pairs n'a vu que des ennemis, des balles d'un camp, de l'autre. Il y avait bien eu une figure, tellement plus immense qui avait écouté et avait « compris ». Il était déjà trop tard. Qui d'entre eux s'était penché sur ce territoire français quand il était temps ?

 

Il fallut néanmoins poser le second pied. Tout près du sable blanc marseillais, quelques “Pieds-Noirs” firent donc leur première escale.

La France. Ils eurent parfois la chance de se retrouver, les rapatriés, mais ça « n'était pas pareil, pas comme au Pays », ils furent souvent détachés partout comme des oiseaux du Bengale que l'on poserait sur la branche d'un arbre arménien, déboussolés, aux ailes et à l’effroi gelés. Pour distraire leur peine, ils apprirent à écouter, s'efforcèrent de comprendre. L'adaptation, je crois, ne fut jamais totale. Le soleil était inimitable, aussi beau soit-il, ici. Leurs mentalités mêlant latinité et Orient rencontrèrent beaucoup d'oreilles fermées, ou étonnées de cet “exotisme”. Les pleurs laissaient place à une obsession mélancolique. Il fallait parler vite d'autre chose, penser aux études des petits, à brosser les cheveux de grand-mère, à appeler tantine qui, «celle-là », ne donnait plus de nouvelles depuis 2 jours, comme une sauvage ! Se taire, arroser les hortensias, lire, lire...

 

Et puis, il y a ce phénomène éternel qui fait que sous les claires journées de la jeunesse, même si le monde était léger, dans les souvenirs, il se transfigure, en toute honnêteté. Cela n'arrange pas le cas de la terre nouvelle.

 

Leurs récits se firent en cercle, entre eux, leurs yeux et leurs mots dès lors plus animés sur de mêmes ondes, sur des vagues sans creux.

Le problème ne se situe pas dans la confiance, mais de l'expérience qu'il est inutile de poursuivre trop loin faute de pouvoir être compris. 

Sur un plan objectif, l'Histoire dirait qu'elle a vu bien pire. C'est vrai.  

 

 

 

 

Née loin de ce départ, je comptais parmi ceux qui sont issus de "l’après", derrière cette coupure désespérée gardant sa Dépendance. 

Je sentais que je ne saurais pas rivaliser avec d'aussi belles histoires que ce qui m'était rapporté, ni apaiser ce mal-être, convaincre que tout peut toujours recommencer, que l'on est entre nous, sous des intempéries, mais avec le paratonnerre de notre chaleur bien à nous. J'essayais. 

 

Bien des années, j'ai eu beaucoup de difficultés à en entendre parler. L'Algérie n'était pour moi que d'autres lettres pour un même vocable : celui du chagrin. Je n'ai pas la nostalgie de ce pays, mais l'inguérissable tristesse d'avoir compris ce bonheur déraciné, aussi loin que je puisse remonter au début de mes souvenirs. Les larmes peuvent couler, ou se cacher comme elles le peuvent, être sous-entendues, dans des mots. Comme dirait Arno « dans les yeux de ma mère ».

 

Je suis de ceux qui écoutent l'exotisme, de ceux qui n'ont pas humé leurs soleils, ni respiré l'odeur de leur mer, fermé mes volets sur le Sirocco. 

  

Il ne s'agissait pas de traumatisme, mais de se construire sans bien sûr savoir de quoi il en retournait de mes lacunes. Un seul côté de ma famille étant concerné, j'en vins à sentir planer une culpabilité me forçant de l'accepter. Je résistai. Il me semblait injuste d'être à mon tour, en quelque sorte, une étrangère qui ne savait pas, ne pouvait rien répondre, que bredouiller devant une mémoire qui n'était pas la mienne. Doublement ignorante.

Les gènes ne sont pas bavards. Il y a ce sang que l'on voit au pli du coude, sous la peau des bras et quand on se casse la figure, c'est tout.

Sans souffrir d'une scission directe, on éprouve que peu de choses sont tout à fait sûres. On s'attelle à se forger une assurance contre l'angoisse : celui du lien, anneau plus fidèle que l'identité d'une nation.

On re-bredouille un jour ou l'autre, averti(e) malhabile.

 

 

Sur un plan plus collectif, il faut des années et ramasser les témoignages pour qu'un détachement, une objectivité (qui ne seront jamais parfaits) s'amorcent. Plus de cinquante ans ne sont pas superflus pour un recul. Il demande que nulle voix ne hurle par-dessus l'autre. Les douleurs, les humiliations doivent toutes être entendues. 

Malgré cela, un blanc-bec (au "doux" prénom d'Emmanuel) est revenu en arrière, avec ses "convictions" opportunistes. Libre à chacun de l'écouter. Je n'ai pas ses talents d'actrice, pas de cette façon, je ne simulerai pas une sympathie qu'il ne m'inspire pas.

 

 

Un autre jour, peut-être, développerai-je sur le thème, plus gaiement, si j'arrive à trouver le courage de mettre de l'ordre dans les notes que j’ai écrites, du portrait de mon grand-père, cet homme sage et juste. Des hommes de "Là-bas" le lui dirent : « ne t'en va pas ». Il ne fut pas le seul.   

Je parlerais alors de celui qui, épris de lecture, suivant avec tant de bonté et d’application ma naissance et ma vie de petite fille - tout en couvant toujours sa fille chérie d'un œil et de prières - s’est attaché à “oublier” dans son silence. Il avait son univers, gardait sa philosophie.

 

Je ne me souviens pas qu'il m'ait parlé de l'Algérie.

Il lui arrivait de prononcer ce mot qui lui ressemblait « Mektoub ». 

 

 

 

Bon nombre de ses frères et sœurs, comme ses parents, reposaient sous cette terre ballottée, reprise de peuple en peuple, sur les arcs des siècles, comme on se dispute un bijou, ou une femme trop belle.

 

Les tombes restèrent seules, seules mais innocentes, sourdes bienheureuses au vacarme et aux fracas.

 

                              Là-bas.

 

 

                                                        Corine

 

 

 

 

(*) Depuis 1830 plus précisément, les arrivées s'échelonnèrent.

 

 



16/04/2018
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