Mi(s)ScellaneaCorine

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Paul et les yeux de Madeleine

 

Je me souviens. Trois paires d'yeux lurent l'imprimé. Je fus poussée à faire passer ce texte à la famille de Madeleine, puisque Paul n'était plus et n'avait plus de descendance. On m'incitait par gentillesse, mais en me plaçant au premier plan. Oui, pour moi, c'était adorable. 

Je refusai, faillis me laisser convaincre, me rétractai. 

Je ne suis pas une sainte (je l'ai déjà dit ?). Il resta sur mon blog de l'époque tant que celui-ci fut en ligne. De ces personnages du réel, aucun n'avait connaissance de celui-ci. Aucun nom, aucune désignation, ni repère. Que cela soit tendre ne changeait pas pour moi suffisamment à l'affaire. Madeleine était en vie, très discrètement, mais en vie. 

 

 

Elle partit il y a 1 an.

De nouveau incitée, j'envoyai mon récit de cette journée à sa famille que j'avais couchée sur papier une année après cette date de septembre. Ce que j'aurais considéré comme relevant d'un léger manque de tact de son vivant prenait à son décès l'allure de ce que j'avais ressenti en l'écrivant : relater un miracle. 

Je ne pouvais pas attendre de meilleur retour, ils l'ont très bien pris. 

Je n'ai pas encore dit ce qu'on découvre très vite : nous aimions tous beaucoup Paul. Nous aimons tous beaucoup Paul. 

 

 

 

 

 

Paul pour de bon

 

Avant-propos :



Oh mince Paul, quoi !

Je crois avoir mis plus d'1 heure à retrouver cette photo, celle où tu étais en pleine force de l'âge, face à l'objectif (?) fermement assis dans un bateau. Tu vois comme c'est, la mémoire : ça parle et déparle, fabriquant ces farces d'autres vérités qu'elle affirme effrontément et cimente... Je l'ai enfin retrouvée, cette série de clichés où je t'avais découvert, bien après l'époque où vous viviez cette jeunesse.

Je les ai, tout à l'heure, un par un, considérés : j'y ai vu chaque protagoniste - ou presque - fixer l'observateur immortalisant l'instant, à l'exception de TOI !

Où ai-je donc rêvé que tu nous regardais, paisible sur cette eau ? Une idée de toi sans doute, un mélange de ces images et de ton air pacifique, n'ayant rien à prouver.

Comment vais-je faire, maintenant, pour te présenter ?

Je ne suis à présent que très peu présente sur ce blog, mais nous sommes arrivés au 29 novembre 2011, premier jour de ton "non anniversaire" et je tenais à parler de toi. Evidemment, un centenaire, cela ne concerne qu'une famille.

Mais ce blog est une fenêtre et j'aime t'y imaginer aujourd'hui accoudé.

Il y a un an que j'hésite à écrire à ton sujet, ou plutôt 1 an et 2 mois et demi !

Allons-y

 

*****

 

Ce 29 novembre 2011 est le premier que ne verra pas Paul.

Paul était un membre de la famille, un grand, grand, grand cousin.

L'année passée, en 2010, il avait souhaité fêter son 100ème anniversaire. Né Normand, basque d'origine et de cœur, il avait choisi la saison la plus douce après le pic de l'été pour réunir ceux qui voudraient l'étreindre en ce pays, en cette mi-septembre. C'était un jeudi, un jour de la semaine qui ne nous avait pas permis d'être tous à l'appel.

 

 

 

Ca y est, depuis le temps qu'on en parle, nous voilà partis sur la route de l’hommage. Les camions barrissent en filant sur la voie. La nuit est belle, le coin joli, protégé du monde par le flanc des montagnes et les échos qu’elles échangent. Itxassou.

 

Le jour J, nous voilà tous réunis sous un porche, arrivés de divers coins de France, comme les raisins de saison, par petites grappes. On se reconnaît ou l’on se découvre, car pour certains, le centenaire de Paul est le seul événement qui ait permis de pousser toutes les barrières.

Les stars se font toujours attendre. 

Nous sommes au garde-à-vous et émus, il y a 10 ans que je n’ai pas vu Paul.

Mon père si, il y a 2 ans, lorsque Odette, son épouse, l'a quitté malgré elle et bien malgré lui.

Pour ceux qui parviennent à ce cap, j'ai l'impression qu'ils se sont arrêtés sur leurs 80 ans. Passé ce chiffre, le temps s'épuise lui-même, passe, mais oublie le systématisme de ses stigmates. C'est une idée à moi ; maintenant....

 

C’est un homme à l’épaisse chevelure, neigeuse bien sûr, belle, soigné, un peu courbé sur un maquilla gravé, qui s’avance vers nous, le souffle court. Contrairement à mes craintes, il aurait été impossible de ne pas le reconnaître.

On se rend vite compte que Paul a conservé une excellente mémoire, un esprit intact, bien en phase avec ses souvenirs et le présent, d’assez bons yeux, son bon sourire mais un peu plus gêné. Pourquoi gêné ?

L’ouïe fait défaut. Comment s’en tirer mieux à CENT ans ?

Nous on est ravis, il a 100 ans. On fait la fête et, ô summum, au Pays Basque.

 

 

Lui, il a 100 ans. 100 ans, au milieu des autres.

En le regardant, je m'efforce d'imaginer ce qu'il ressent. Je sais l'inexactitude de ce que sera le fruit de mes tentatives, celles où ma personnalité forcera sur l'objectivité du jugement. Je m'essaye à ce fameux concept qu’est l’empathie. A imaginer ce qu'il ressent chaque jour de ses murs connus qui lui servent de remparts contre une solitude quand tous ceux qui y ont cohabité ont déserté sa page, celle où il perdure sans s'y accrocher. Lorsque chaque matin, il faut ouvrir les fenêtres sur des heures qu’il ne s'agit pas d'entreprendre comme l'écriture d'un parchemin à la longueur inexplicablement élastique. Personne ne connaît le mécanisme du scellé qui capturera les lignes de la fin et fermera l'enveloppe. Des matins à regarder simplement comme un présent auquel on a droit par hasard.

Est-ce la vie qui le surprend encore où son adversaire qui y excellera ? A la réflexion, il se demande si le bout du chemin n'a pas plus une tête de pochette surprise. Bof, enfin. Puisque personne ne sait. Il lui faut accepter ce courage dont il donne la preuve et qui dure. Ce ne sera pas éternel.

 

Assurément, il est probablement extrêmement incongru de "se penser" avoir 100 ans. Comment un siècle peut-il passer si "vite" après tout ?

 

Il est resté autonome, vit chez lui, est aimé de ses voisins. 

 

 

Nous parlons et beaucoup. Il reste souriant entre nous, regardant chacun et au loin, au coeur du brouhaha.

Si sa physionomie a très peu changé, c'est en prenant des photos que je vois clairement où le bât blesse : ses yeux. Lorsqu'il nous parle, ses yeux nous trompent sur sa souffrance. Vis-à-vis de nous, ils sourient, plissés de rire, ou pensifs. Mais devant mon numérique, je vois la vérité écarquillée. Il n'y a pas de flash, l'éblouissement n'est pas en cause. Le cœur serré, j'efface la photo, reprends, après avoir attendu que chacun tire la sienne.

Paul adopte diverses poses, il faut nous faire plaisir... Je choisis celle où il boit son champagne. Rien n'y fait. Dans mon viseur, il ne peut plus mentir poliment : il ne boit pas gaiement, non : il s'acquitte de la gaieté de boire. Ses yeux sont effarés, de la victoire d'avoir tenu jusque-là, ne reste dans ce regard-là que le sentiment de ne plus trouver sa place. Je fais 4 essais, il me regarde, « la fifille » comme il m'appelait affectueusement. Peine perdue. La tristesse de Paul coule plus sur ces images que s'il avait lui-même pleuré. La détresse de celui que tous ceux qui l'entourent ne savent pas ; qui, malgré toute leur bonne volonté, leur affection souriante sont là, réunis, mais ne peuvent comprendre, malgré leurs forces jointes.

Eux, c’est-à-dire nous.

Nous ne sommes pas non plus les plus proches. Ceux-là sont déjà loin.

100 ans, engloutis dans une marée d'affection qui ne sait le secourir d'une solitude.

 

 

Je louvoie entre les parterres du passé. Il n'est jamais facile de parler de quelqu'un en quelques traits, dès qu'il importe. 

Je pourrais évoquer sa tête légèrement inclinée, attentif aux discours, je l'ai toujours connu ainsi, sa voix un peu "bougonne", mais nette, sa générosité, sa clairvoyance.

Je pourrais dire son énergie incroyable, dont sa femme Odette était le pendant, eux deux aussi puissants que les presse-livres d'une bibliothèque. Vers 75 - 80 ans Odette et Paul abattaient plus de travail dans un immense jardin que je n'en aurais fait à 20 ans, accrochant ensemble en quelques heures les feuilles d'automne froissées sur l'herbe ; ils jardinaient comme d'autres auraient joué au golf. Ils avaient la foi de soulever des mont... non, des continents.

Leur vitalité était inouïe, m'était un exemple et le billet d'aujourd'hui n'enjolive en rien ce fait. Quand je me souviens d'eux, je me souviens de ma pensée abasourdie : les couples se communiquent-ils leur vigueur lorsqu'ils sont unis comme ceux-là ? Est-ce dû à une hygiène de vie ? Ils semblaient aussi forts que des arbres.

 

 

Je reviens sur terre. Nous sommes le 16 septembre 2010.

La généalogie occupe une bonne part de nos bavardages, les rires saupoudrent les conversations, les verres tintent.

Entre deux coupes et 4 bouchées, il m'arrive de considérer là-bas, en bout de table, frappée, Madeleine. Madeleine, une autre cousine de Paul et de ma grand-mère paternelle, paraît plongée dans un semi-coma. Elle est assise. Sa position s’accorde à une posture socialement adaptée, je vois bien que ses muscles lui permettent encore de tenir une place verticale sur une chaise, que son corps est là, mais où est-elle ? Il semble que nos voix lui parviennent comme des accords ouatés dont elle fait rebondir l'impact à chaque réception le plus loin qu'il lui est possible. Elle s’enfonce encore un peu plus dans son refuge silencieux. Madeleine maintient sa posture comme un marbre préférant demeurer entre ses tempes dans ses souvenirs les plus anciens que de jouer à vivre. Elle existe, mais, visiblement, ne fait que dépendre d'un organisme qui ne consent pas à lâcher. Contre cela, elle est impuissante, mais fait ce qu'elle peut pour couper le son et s'oublier.

Si différentes sont les façons de vieillir. On me dit qu’elle est atteinte d'une de ces maladies qui font si peur, celle qui vous prive de votre identité, qui vous rend vos propres enfants étrangers. Je ne sais pas s'il s'agit de cela, après tout, je n’ai eu que cette version et je n’ai rien osé demander. Elle est pour l’instant très calme.

Madeleine... moi, non plus je n'écoute plus vraiment. Il y a bien un fond sonore, mais je suis prise entre l'impact de ma mémoire et l'observation. Bien sûr, elle est âgée, mais j'ai ce pincement. Pour moi, subir la vie est toujours choquant. « Allons Corine, tu es là pour un anniversaire, non pour crier à l'injustice du destin », me dis-je, histoire de me secouer les puces et de me re-concentrer sur la fête.

Madeleine, il n'y a pas si longtemps, pas vraiment bavarde (ou pas avec tout le monde), mais tellement active.

Je sais : le temps passe, il nous écorche. On ne sait jamais qui sera le plus fragile, où sera la première reddition. Elle tenait un hôtel avec son mari. Dynamique, souriante, omniprésente dans son domaine, l’œil à tout. Madeleine et cette longue tablée, lors de chacun de nos passages au pays, ses enfants, son champion rugbyman de mari, les flopées d'invités et son sourire tranquille, son timbre fluet.

 

 

16 septembre 2010, oui, oui. On y est. Revenons sur terre, en temps et en lieu. Elle ne bouge pas, reste courbée sur son assiette. Cela pourrait nous arriver à tous. Nous pourrions être des automates dont on a oublié de remonter le mécanisme en perdant la clé. J'insiste, mais quand je suis stupéfaite par une situation durable, ou irréversible, je me reprends plus lentement. Ma question tourne et tourne. Tout au long du repas, la courbe de sa nuque a le même angle. Elle est toute propre, digne, mais figée, hors de ce jour.

 

 

Nous touchons à la fin des agapes. Entre deux carrefours de conversation, Paul déplace sa chaise et s'adresse à elle : « ma petite Madeleine, tu te souviens ?».

Je me fais la réflexion que décidément, il ne cède devant rien, même devant le temps perdu. Elle est à des années-lumière de nous. Madeleine a mangé du bout des lèvres.

Paul ne se laisse pas impressionner par le profil impénétrable et poursuit son idée.

En quelques secondes, n’importe quelle certitude peut basculer.

Je poursuis ma conversation et pique dans mon assiette, une oreille cependant vers eux, un regard sur deux. C'est un de ses moments où mieux vaut ne pas s'atteler à entamer une biscotte, ou une tranche d'orange, vous savez : une fausse route est si vite arrivée. Il est de mauvais goût de voler la vedette en s'étouffant bêtement, troublant le silence de l'émotion au doux chant des sirènes de pompiers. 

Car je vois ce qu’une minute avant, j'aurais cru impensable : derrière les lunettes, les paupières se lèvent, le menton se rehausse quelque peu. Elle ne répond pas, mais bouge doucement la tête, de bas en haut, sans bruit. Madeleine répond au passé, à l’affection, à ces mots qui font tout pour l’atteindre. Ils la touchent, l'esprit affectif n'est pas mort. Malgré le temps, malgré la maladie, il y a des zones humaines que la fatalité ne touchent qu'en dernier ressors et difficilement.

Paul poursuit les courtes anecdotes comme de rapides clichés qu’elle saisit dans l'immédiat, son mouvement de tête acquiesce à leur proximité, Madeleine se glisse avec confort dans la filiation à ce temps commun.

Elle ne dormait pas.

J'ai oublié mon assiette. 

Phénoménal, impressionnant, ramenée au présent qu’elle avait décidé ne plus la concerner par la grâce du passé.

 

J'ai développé cette description à dessein, car cela a été pour moi LE miracle du jour et peut-être même celui de l'année chez nous. J'ai rarement vu mieux.

Il y a des situations qui nous trompent. L’échec n’est parfois pas là où on le voit, la fin ne l’est pas davantage là où on la place. Grâce à Paul, les yeux de Madeleine se sont ouverts (j'ai failli donner ce titre à cette page).

 

Maïté (l’une des filles de la susnommée), toujours débordante d’énergie, entonna alors : « on n’a pas tous les jours 20 ans », sur quoi Béatrice et Roger entamèrent une valse convaincue.

 

 

Mais revenons sur ce faiseur d'impensable.

Paul était donc doté d'une épouse - « Dédette » - qui, outre ses talents de jardinière (!) avait son caractère, entier, passionné. Ils représentaient le genre de couple que l’on ne croise pas souvent : celui qui ne “tient” pas 70 ans de vie commune comme on s'acquitte d'un contrat. Celui qui mène un amour qui accompagne, supporte dans les peines et les joies (comme on l'énonce en s'unissant). Eux l'ont fait avec conviction.

 

Les récits, eux aussi, font des va-et-vient dans le temps et l’espace.

Durant la fête, Paul raconte un peu de sa jeunesse et nous parle surtout de celle qui a changé le cours de ce long fleuve. Il nous dit comment il fut subjugué par cette jeune femme blonde, "tout feu tout flamme", qui avait déjà connu un mariage, une maternité, un divorce à une époque où on ne rigolait pas avec ça. Je ris car je n'ai aucun mal à imaginer Odette, ne l'ayant connue que “tout feu tout flamme”. Le sourire et les ponctuations de son époux nous racontent mieux encore que ses mots cette première rencontre. Il fut dès le premier jour, si irrépressiblement convaincu de se lancer dans les filets, puis de se vouer à la belle Odette... Ses yeux retrouvent leur lumière.

 

 

Paul garda néanmoins son caractère, son écoute propre, ses silences. C'est vrai qu'il parlait peu, Paul. Peu mais quand il le jugeait utile. Haut fut son mérite tant il aurait pu la suivre sur tous les fronts. Or, Odette, avait des idées pour le moins rapides et définitives et parmi d'autres, un attribut qui était aussi un défaut : la totale incapacité à ne pas dire tout haut ce qu'elle pensait !

Dieu merci, Paul gardait ses opinions, son indépendance d'esprit.

Merci, Paul.Clin d'œil 

 

 

 

En ce jour de 2010, il nous fait, poignant, l'aveu de cette convention passée entre eux, durant les derniers mois de la vie de son épouse : « si, par malheur, tu meurs avant moi, je te jure que je ne passerai pas une nuit sans étendre ta chemise de nuit sur le lit, à mes côtés sur l'oreiller ». Il commence à pleurer. Pour que lui, verse des larmes, c’est bien que l’émotion est à son "pire que comble", si je puis dire. Il détourne un peu la tête.

Je pense sincèrement qu'il ne rougirait aucunement que je reporte ici ce si beau pacte.

Deux ans de séparation depuis le décès de sa moitié, c'était déjà certainement beaucoup exiger. A un mental fort aussi. La résistance a ses limites.

En ce séjour du Pays Basque, Odette est donc un peu là. Sa chemise suit sur les oreillers, de département en département et pays limitrophes, le cher Paul. C'est beau, triste et elle aurait même peut-être trouvé cela drôle.

 

Divers départements, ai-je bien dit, car, sitôt son centenaire fêté, Paul part pour de nouvelles escales ; après Itxassou, ce sera Lille, puis la Belgique !

Le sens de la famille pousse son petit Centenaire - non même encore atteint civilement (son anniversaire étant depuis toujours le 29/11 !) à dépasser les frontières pour se rendre à un baptême. Peu de bébés ont la chance de compter un centenaire parmi leurs relations.

Ce bébé là, tout neuf, rose et candide verra plus tard sur les photos cet homme qui passa un siècle, vit prendre le pouvoir au radium, au gaz, à l’électricité, engendrer le remède anti-tuberculinique qui mit fin aux ravages de cette peste qui si longtemps décima, sépara. Qui connut le téléphone Odéon, puis les touches digitales, le Blériot XI, la guerre et l'emprisonnement, la paix, la vertigineuse ascension des années 60, la vertigineuse voltige des soutien-gorge dans les manifs, l'IVG, l'arrivée du sida, la chute du Mur, l'A380, le focus sur la misère proche et lointaine, mais aussi une aide plus universelle, il a vécu ce que nous vivons : l'accès à ce qu'avant, il fallait approcher pour voir. Paul a vu plus longtemps, ce que sait faire l'Homme : le meilleur et le pire.

 

Il s’exprime assez souvent généreusement sur le sujet, avec compassion : « ah ce n’est pas facile, la vie, pour les jeunes à présent. Nous, nous avions de quoi faire notre place, tout de même ».

 

 

Qu'en dire d'autre ? Mes souvenirs reviennent pêle-mêle entre le restaurant ce midi-là et la soirée dans une jolie maison, après ces longs chemins, chez Dany.

Cette journée a été emplie de rires, tandis que je me disais que cette famille a compté de nombreux chagrins.

Il y a les regrets, ceux des absents.

 

De leur côté, Odette et Paul eurent, longtemps je crois, une belle existence. Comme tout le monde, ils firent face, il y eut des récompenses après les efforts et les obstacles. Ils ne comptèrent pas au nombre des oubliés.

Mais la destinée n'aime pas laisser en paix et n'a pas davantage pitié des cheveux blancs. Micheline, fille d'Odette, belle-fille donc, puis fille adoptive - totalement adoptée - de Paul nous quitta si brusquement... Le fracas de ce chagrin fut aussi vif que l'était l’éclat qu’elle portait, laissant un désert pétrifié, immobile après elle. Sans Paul, Odette n’aurait pu résister. Il fut le sang d’Odette quand une part d'elle mourut, véritablement. Odette avait un amour maternel, mais aussi une admiration qui la plaçait presque dans la position d'élève de sa propre fille (qui n'avait rien d'autoritaire). 

 

Délicat de décrire Micheline, on pourrait dire que c'était notre étoile du berger. Micheline aimait penser que l'on pouvait rendre chaque jour plus beau par un sourire et elle en donnait beaucoup. Elle donnait beaucoup, d'ailleurs, beaucoup d'elle-même.

Sans ces êtres qui manquent, il faut par instinct, se persuader pouvoir recréer l'idée d'une autre utilité du monde, une manière d'oublier le bandeau qui cache l'œil malade, comme un hémiplégique peut prendre l'habitude d'éviter de penser à sa main pour oublier qu'elle est paralysée. Se protéger de la cause de "l'oubli". Rien ne s'oublie. 

Leur nom ne se dira que tout bas ou plus tard, en essayant, ensemble, de ne rire qu'aux meilleurs souvenirs, en cachant sa propre tristesse, par pudeur et pour ne pas peiner. Une lumière est partie avec elle. Elle a tant compté pour nous, pour moi. Micheline était devenue notre point commun le plus ancré.

Il en est de même pour tous les chagrins profonds.

 

C'est fini, nous nous quittons. Je conserve quelques parcelles de ces dialogues perçus qui font lever un sourcil à la logique, surréaliste !

- Paul à ma mère : « et surtout ma petite, une meilleure santé ».

- Oui, on va essayer. Bon voyage en Belgique, Paul »

!!!!!

 

Un long rêve éveillé que ce temps qui nous cloue à le regarder passer sans vraiment changer.

Comment croire vraiment, soi que l’on a 100 ans ?

Antoine Pinay disait que 100 ans, « c’est drôle que pour ceux qui observent les autres ». Certainement. 

 

La vie, c'est comme un pissenlit sur lequel "On" a soufflé. On ne sait pas exactement Qui. Le parachute reste suspendu, un peu plus haut, un peu plus haut, encore, un peu plus longtemps que les autres. De visu, la différence paraît longue. De l'intérieur, moins. Puis on se fatigue, au milieu de l'absence et des bruits qui ne sont plus à soi.

Paul nous avait pourtant bien dit, tristement « c'est fini, après, je me laisserai aller ».

Malgré nos protestations, il avait souri vaguement. Dans le fond, c’est une parole presque classique, romanesque. Je n’y avais peut-être pas trop cru. Pourquoi se laisser aller ? Tout se fait tout seul.

J'avais vu, pourtant, la détresse.... Comme d'habitude, Paul a suivi ses principes. Il n'a pas attendu 1 an. Il avait accompli son centenaire comme on remplit un engagement.

 

La mort, c'est le seul examen que l'on est sûr à l'avance de passer avec succès, sans potasser : c'est connu, si l’on n’est pas sûr de réussir sa vie, il est certain de ne pas louper sa mort. Même distrait, elle ne vous oubliera pas. Autant les événements-clés de l'existence sont à attraper comme des trains trop pressés, autant celle-là.... Même pas un brin de suspense et pas d'humour.

Je sais bien que, comme je l'entends toujours : « il a eu sa vie, hein, il y en a qui partent plus tôt ». Mais peut-être plus vit-on, plus s'habitue-t-on, tout simplement ? Si encore on avait la bande-annonce de ce qui va suivre pour se faire une idée… 'Sont marrants … !

 

Je sais bien que je ne vais pas faire pleurer sur la prématurité du trépas des centenaires, mais je pars du principe "qu'être prêt à partir" est une expression toute faite. Ce qui aide essentiellement à se laisser pousser vers la sortie, c'est bien le départ des autres. C'est-à-dire que l'on vivrait bien, mais avec qui, pour quoi ? Il n'y a pas de goût à ne vivre que pour soi, ou il y en a pour très peu de gens. Alors, quoique sans engouement pour les allers sans retours, on s'essouffle.

Alors on se résout. Sans la bande-annonce... Il faut aller voir de plus près ce dont on nous parle depuis si longtemps, sans chance de revenir raconter de bonne blague à personne, ni pouvoir témoigner de ce qu'on a zieuté. Il est si particulièrement dur de partir sans un visage, une main qui sait lire ce que veulent dire les lignes de la vôtre avant de se taire, une présence assez ancienne et assez proche pour savoir voir à travers vous. Non, ça ne doit pas être si facile non plus à 100 ans.

 

Qui d'entre nous, pourra l'oublier ?

A la tienne, Paul ! Je lève mon verre à tout ce qui nous reste de toi.

Oh tu te souviens justement ? C'est avec toi et Odette, le coup du postiche tressé avec mes épingles à linge sur la tête. J’avais quoi ? 5 ans ?

Et quand j'ai eu mon bac, après avoir tout abandonné et tout repris en candidate libre. Il se trouve que cet été-là, vous étiez là et ça a compté, c'était un tellement +.

Le ping-pong avec toi, vers tes ...80-85 ans ??? Je sais même pas si tu n'avais pas gagné ! Non mais, sans blague ?!!!

La fête à Sare (toujours au Pays Basque !) en 2000, chez Chantal et Jean-Michel ?

 

Et te souviens-tu de ce jour où Odette t'a lancé, alors que tu recevais quelques Bordeaux : « mais que fais-tu Paul avec toutes ces bouteilles ? Mais, mon pauvre malheureux, tu n'auras même pas le temps de les boire ! Franchement ! Qu’est-ce que tu vas t'encombrer !».

Odette te parlait parfois comme à un enfant. Toi, tu avais pris ton air de rire comme tu le faisais sans ouvrir la bouche et, sans piper mot, tu étais parti avec ta Dédette sous le bras, mais tes bouteilles bordelaises aussi.

C'était il y a 20 ans, nous avions ri, quoique un peu inquiets quant aux possibles dons visionnaires de Dédette.... Les années ont passé sur les fous-rires que déclenchait désormais cette anecdote. Même en tablant sur la parcimonie avec laquelle tu pouvais les déguster, elles ont assurément donné leurs dernières gouttes.

 

Et Portmontain …  quand je vous ai pour la première fois vus tous trois, vous qui étaient toujours deux. C'était un peu de ces paradis.

 

Je te retarde un peu ? C'est fait exprès. 

Je sais que tu te souviens.

 

 

Ce jour-là. 

 

 

 

 Itxassou0006.jpg 

 

 

 

                                                                      Corine 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



22/02/2018
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