Mi(s)ScellaneaCorine

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Sous des feuilles d'acanthe, Gustav KLIMT (imaginons)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’étang est lisse, muet de torpeur. Trois âges pourraient s'y réfléchir. Un bébé crie, câliné par sa nourrice aux formes affables.

 

Cet été à Vienne est plus lourd, ou suis-je plus las. Mon dos est douloureux, mes jambes fatiguent comme celles d’un vieux sculpteur. Je suis allongé et regarde, à quelques mètres, mes possibles prochaines muses. Sous l’arbre, la plus jeune des jeunes femmes pleure sur l’espoir. Les tragédies les plus tortueuses et les plus tendres commencent à 15 ans.

 

 

Je m’affale dans ma paresse. L'aînée retient mon regard, je le soutiens, elle l'évite. Je reconnais ces vraies prudes, car je connais les autres. Je sais que ses traits m’inspireront plus tard, à l’atelier. Comme elle est jolie, derrière son éventail ; quel accessoire de rêve qui prépare nos cœurs à la beauté.

 

 

La jeune fille assise sur son banc, dans ses mains de pleurs, me pousse à la mélancolie que j’étais venu fuir ici, harassante autant que la chaleur.

 

 

 

Je suis ainsi contraint de ruminer ce que j’ai quitté pour quelques heures. Je n’ai pas oublié ma bouteille, autant lui faire honneur.   

Je voulais que Hannah se plie à ma volonté de la faire entrer dans l’âme du portrait que je désirais faire d’elle. Elle n’a pas voulu de la biblique Judith qui lui aurait été si bien. Elle est assez froide quand elle calcule, ses jugements sont rudes, elle compte sur mes faiblesses. Ses verbiages, nos paroles de poison parfumé, son sang de poisson, glacial, autant qu'elle est torride, m'agacent, mais me font tourner la tête. Elle sait agréger en sa jolie personne ma satiété, mes bacchanales, ma rage d'elle. Elle pense avoir une prépondérance suffisante pour me faire signer un blanc-seing sur notre union. Elle a trop de prétention pour concevoir de défiance. Elle n’en a pas envers Emilie. Elle a tort. Mon Emilie peut prendre tous les habits, aussi calme, aussi forte qu’un rosier sous un arbre, aussi stable que je suis volage, au pire, fantoche, mais également fidèle, à elle seulement j’adresse un baiser sans peinture. Charnelles, mais sans esprit, les unions comme Hannah durent ce qu'elles durent, sans trait, avec un point final. Et quelques bruits d'assiettes - s'il en reste. 

 

  

Je ferai de Hannah au moins un portrait de femme. Si elle finit par m’écouter. Elle n’entend rien à l’art, mais tout à l’amour. Je ne sais pas si je perdrai longtemps au change. L'art, la vie, l'amour, la mort.

 

 

 

Dans l’étang, les ondines se gondolent, serpents d'eaux inquiétants. Je sais qu'elles m'inspireront des dévotions multiples, opposées, peut-être. Un homme aveugle passe devant les grilles du parc. Son visage exprime ce qu'il reçoit en félicité d'une symphonie de Beethoven que les fenêtres ouvertes de l'opéra laissent entendre. Les ondines sont assourdies par l'eau et leur serment.

 

Avant de partir, j’ai compris que l’eau nous trompe. Ce n’est pas un étang, mais la Mer Egée qui trahit Acrisios et cache la rousse Danaé.

 

La jeune fille a abandonné son banc, a incliné sa jeune tête sur un instrument que je n’avais pas vu. Une autre musique a dit les mots de son cœur quiescent. Je n'entends plus Beethoven.

 

 

Je suis rentré. Je suis un peu gris. Je veux la garder, lui donner une histoire, elle que je n'ai pas approchée non plus, dont je ne sais rien. Sa présence ne m'est pas nécessaire, mais il faut faire vite.

Dans cette vapeur souple, je la situe dans un temple aux feuilles d’acanthe. A revoir. Peut-être autre chose autour, plus cosmique. Peut-être des sphinx. 

Ca ne marchera certainement pas, une jeune fille, une musique. Les commandes rachèteront ce qu'ils appelleront un échec. J'ai la bonne fortune qu'Adèle B-B soit une commande inspirante, toute en dignité, si belle aussi, si belle... 

 

La jeune femme à l'éventail attendra, ces émois sont différents. Elle s'est fait en un instant une place solide en ma mémoire.

 

 

Pour le moment, je lève mon verre aux âges : à la jeunesse et à l’Accomplissement. Je n'attends pas de clarté, ni de savoir, je commence. Une jeune fille au teint pâle, à la robe sombre accroche ses doigts aux premières notes. 

 

 

                        

                                                        Corine Caporlan

 

 

 

 

Ps : ne cherchez pas dans ce texte un ordre chronologique à ces tableaux de Gustav Klimt : il n'y en a pas. Je ne lui connais pas non plus cette Hannah (mais je ne suis pas une spécialiste). L'histoire est une fiction (autant que les pleurs de la "jeune fille assise"), le jeu est de repérer les noms de tableaux dont j'ai truffé cette page (je viens d'en citer un).

Ou tout simplement de lire sans réfléchir, ce sera aussi bien !

 

 

 

 

 

 

 

 

La jeune fille Klimt.jpg

 

 



21/10/2018
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