Mi(s)ScellaneaCorine

Mi(s)ScellaneaCorine

LUI, EUX, ces parallèles

 

 

Je n’ai pas vu cette année arriver d’un bon œil, Je n’ai pas affiché une de ces plaisantes cartes de vœux, ce que je fais d'ordinaire avec plaisir. Je n'ai pas eu le cœur à faire comme si je célébrais l'année. « Bonne année tout le monde », je l'ai juste écrit, à clavier feutré. 2019 ne sera pas comme les autres, de toute façon, pour aucun Français. Les nourrissons s'en sortent encore sans avoir à parier. 

 

 

 

Mais il ne s'agit pas de cela. Si je ne l'ai pas regardée avec la moindre confiance, (outre ce que j'ai raconté), la raison en est bien plus égoïste, repliée. 

Fin 2018 ne préfigurait rien de bon. 

 

Pourtant, je l’ai trouvé belle, cette journée du 24 janvier 2019. Jusqu’à ce soir, quand nous t'avons vu.

On t'a changé de chambre pour mieux s'occuper de toi, paraît-il. La chambre est grande, très grande. Tu y es seul. Il faut toujours mettre un masque et fermer la porte derrière nous. Tu ne sembles plus tousser. Le reste, j'en garde les détails. Tu semblais mieux, la dernière fois !? J'y croyais presque. 

 

En février 2017, j’avais fait un petit texte sur toi. J'avais peur, en te voyant changer. Avant que nous n'entrions en guerre, d'abord pour ce tu nommais ta liberté d'être, que je désapprouvais avec force et rage comme l'expression de la réussite de ce qui était devenu ton pire ennemi. Ne me dis pas maintenant que tu ne sais pas que ce dernier a été ton plus fidèle partenaire, celui qui jouissait de ta plus crédule écoute : toi-même. L'adversaire, tout autant, d'une intégration avérée dans ce qu'est une réalité commune. Que de parallèles, trop peu de carrefours. J'aurais préféré avoir tort. La liberté n'est pas celle qui démolit. Mais nous avons des points communs. 

 

 

19 février 2017 :

Le père.

Son esprit était vaste. Ses jambes ne s’allongeaient pas comme tout le monde. Il sautait de quelques centimètres au-dessus des autres quand ils marchaient, tout facilement, tout banalement. Il chantait des chansons qui faisait sursauter. Sa fille en riait, en jupette, les orteils écartés de joie dans ses socquettes et n’oublia jamais. Normal, elle oublie peu. Il y a des mots qu’elle n’a jamais gobés. "Résignation" en est un. C'est un atavisme qu'il lui aura refilé, ce sentiment qu'il doit y avoir un moyen, quelque part, que le pire doit pouvoir être attaqué par ailleurs. Il y croit davantage qu'elle, c'est vrai, mais sans lui, elle n'aurait jamais possédé ce refus, ni n'aurait cherché des issues, ou des personnes pour l'aider sur leurs pistes. C’est un peu ce qui a fait l’optimisme des autres, des fois, qu’elle n’admette rien de fatal, jusque dans les tombes.

 

Elle ne sait pas quand elle a compris ce qu'elle sentait la frôler, puis s'infiltrer en elle. Elle se souvient avoir vu, dès qu'elle eut toute sa conscience, serrée dans un malaise et sa jupette, le nez caressé par son index, le pouce à la bouche, que chez les adultes, c’était difficile et en deuil. Elle non, elle n’était pas en deuil. En joie et inquiétude, oui. Elle sautillait alors elle aussi plus haut, s'enfonçait dans la nature quand elle n'avait pas à ses côtés son meilleur ami et confident, son si discret et philosophe grand-père maternel adoré.

Ou préférait rire quand son père manifestait son doute quant à ses solutions « extravagantes » de gosse en remuant magiquement les oreilles - contrastant avec un visage sérieux (en dépit de contractions diverses et motivées, les oreilles mobiles, c'est un truc qu'elle n'a jamais su imiter !). 

 

Une poignée d'années avant la certitude de la gamine sur le triste sort des "grands", ce père sautillant avait cru son propre paternel rangé, mais près de lui pour lui délivrer quelques conseils, utiles dans la petite entreprise que ce fils respectueux avait accepté de reprendre plutôt que d’être peinard (et fortuné), son diplôme en poche. Comme d’habitude, il avait écouté sa mère : « il vaut mieux un petit chez soi qu’un grand chez les autres ». C’est une manie, d’ailleurs, de ne jamais s’éloigner trop, trop loin et de s’incliner.

Mais son père à lui, là, pour la première et seule fois de sa vie, il avait merdé. Cet été-là, il avait prêté attention à sa petite fille jusqu’ici peu signifiante (a-t-on raconté plus tard à l’intéressée). Les filles, ça fait quoi, au fait ? C’est fragile, non ? Ca ne s’emmène pas partout. Ca ne tire pas à la carabine à la foire. Et puis, elle est vraiment trop petite. 2 ans ! Ca ne transmet pas les noms. C’est pas qu’elle avait trop, trop l’air d’une fille, mais ce n’était pas la mode unisexe post-révolution soixante-huitarde qui allait la lui faire.

Le grand-père avait donc enfin sagement décidé de définitivement prendre sa retraite plutôt que d’y réfléchir encore et avait emporté femme et mouflette dans la bagnole sous les pins. On l’a rappelé, aussitôt, comme s’il avait des devoirs supplémentaires oubliés pour avoir “droit” au repos. Toujours curieux d’esprit, intrépide, il était allé voir le problème dans une autre ville, ce grand-père aux yeux vifs qui avait tout appris aux cours du soir et comprenait si vite, a-t-on dit de lui. Respecté, consulté comme une sorte d’homme-oracle. Il s’était déplacé du paradis au ruisseau, des rires de la gosse et de la femme qui l’avait toujours suivi. Le jour de ses congés éternels pour ce qui était du labeur, plein d’idées et de formes, il était heureux. Oh, il a trouvé, où il était, le problème. Et il aurait pu partir. Mais il y avait un truc qui l’intriguait, venant juste d’à côté. Il y a des portes qu’on ne doit pas pousser avec ou sans clé d’or, que l’on soit la jeune héroïne d'un conte, ou un homme mûr dans une vie sans gomme pour effacer et refaire. Non, l’EDF n’avait pas coupé le courant dans cette usine inactive où on lui demandait des conseils, à l’électricien. Je ne crois pas qu’il ait eu d’amour pour la gloire. Il a fait un entrefilet. Son fils a dû aller voir, constater, reconnaître, son fils qui ne pleurait jamais a fait des cauchemars longtemps.

Aucune faute n’avait été reconnue chez le pot de fer. Les câbles pendaient, chargés derrière une porte, à la portée de tous. Il y eut un procès, perdu par un fils qui s’était improvisé avocat.

Le pot de terre s'est débrouillé, sans tout savoir encore, sans comprendre pourquoi ce père qui avait échappé à tous les accidents (auto, moto, Trichloréthylène - bu par inadvertance), avait cette fois semblé payer sa chance effrontée.

 

 

L’enfant ne se souvient de rien. Elle a cherché comme si elle était coupable de cette amnésie, mais rien à faire, 2 ou 3 ans après. Avec ou sans pouce, elle voyait leur chagrin et enviait les enfants qui semblaient n'en rien connaître. Elle n'en savait rien après tout, de ce qu'ils vivaient, ces enfants à part leurs pleurs comme les siens, sur les blessures soignées de mercurochrome bien rouge. Elle n'en parlait pas.

 

Ce n’était pas normal, cette absence de couleurs, ces vêtements noirs des années durant. Elle savait bien qu’il ne reviendrait pas, le grand-père qui était comme une ombre blanche. Rêveuse et étourdie, elle prenait garde à ne pas faire de gaffe sur le sujet, à ne pas poser de question. Les adultes semblaient ignorer la brusquerie qu'avaient leurs soudains silences, les regards dont elle ne pouvait suivre tous les sens. Mais c’était la moindre des choses, puisqu'elle avait la chance de n’écrire que des mots sur le disparu à qui elle souhaitait bien du bonheur là-haut, sur de petits papiers, pour faire plaisir à sa grand-mère, sans avoir mal, elle, sans avoir cette mémoire du jour où ils ont crié. Sa mère, effrayée quand on avait parlé “d’accident terrible”, avait eu si peur... Ben non, c’était pas elle. Elle, avait continué à voir que c’était l’été.

 

Pas de gaffe intentionnelle, mais elle a quand même bourdé des années sans pouvoir le deviner, proclamant par des "youpi" le jour de la libération des classes. On aurait pu lui dire que le 30 juin, ça se pleure, ou ça se tait quand on est content, dans la famille. Un 30 juin, à Belin-Beliet, le grand-père avait poussé la porte, ne se doutant pas qu'il changerait à lui seul le chemin d'autant de destinées et celui de caractères. 

 

 

 

 

 

 

Constructions 

Elle, elle se faisait des cabanes avec des bouts de bois et des balais sans tête qui se cassaient toujours la tronche sous le tissu qu’elle posait. Enfin, au bout d’un moment. Car elle les enfonçait et mettait des pinces à linge, quand même pour tenir son toit. Son père à elle, le fils du fantôme, un été sous les pins près du ruisseau qui se souvenait, a construit une belle demeure de planches, de branches et de fougères, avec une cloison intérieure, une vraie porte pour fermer la maison et un coquillage sur la porte. Il avait écrit un nom d’accueil avec un oiseau et une tortue dessinés par lui. Elle pouvait enfin y dévorer des pommes rouges et vertes trouvées dans la pente qu'elle dévalait dans le jardin, lire et se parler toute seule, toujours aussi sauvage, faire la dînette. Il avait mis des petites dalles là parce que c’était la cuisine, c’était pour ça, c'était parfait. Elle se cachait tout en sachant que forcément, il n’y aurait pas à la chercher loin, désormais. C’était trop facile pour eux, mais c’était trop beau aussi, ce chez soi.

Il dessinait très bien, d’une trop grande modestie dans ce domaine. Il aurait dû être instit, il aurait été bon pédagogue.

 

 

 

Sa présence était rare. Fuyait-il, loin des dialogues ? Cela mériterait un volume, mais son monde était intérieur. Et qui sait, sur ce volume, si elle l'écrivait, si elle ne ferait pas d'erreur ? Fatalement oui, à un moment ou à un autre. 

Il n’a jamais trop su ce qu’était le mot vacances. C’était à se demander s’il n’avait pas fait, pour une fois, le cancre le jour où on en avait enseigné la définition en cours. Vacances n’a rien à voir avec “vaquer à”. Quand sa fille le regarde faire, elle songe à cette confusion. Peut-être aussi que la retraite des fois, ça porte malheur ? Non, ça porte malheur quand on ne l’écoute pas sonner, nous dire qu’il est temps de partir pour se rendre indispensable ailleurs, près des siens. Ne pas retourner aux portes des autres.

Il disait : « un rien m'occupe », assez fier de ça. Sur les cabanes et dans les dessins, une fois lancé, même un oiseau se pose. Il aimait ce qu'il faisait, mais en supportait de lourdes conséquences. Il a eu l’habitude de payer ses efforts, comme s'il leur devait quelque chose et de presque leur donner la monnaie. Où sont les droits et les devoirs ? S‘est-il jamais demandé s’il avait des droits, véritablement, à long terme ?

« Le droit, toujours le droit ! ». Juste, durant des années, celui de se mettre en colère, très, très en colère contre les fonctionnaires. Savoir quand on arrive et quand on part, bah ! Il se peut que ce soit héréditaire, ce problème de connaitre l’heure. Et puis, on ne peut pas dire qu’il n’était pas coléreux. L’EDF il en parlait moins, c’était trop grave.

Des décennies, qu’il vente ou qu’il pleuve, côtes cassées, ou frais comme un gardon dégelé, il accélérait sans plus s'arrêter, jusqu'aux repas.

 

Est venue, très dépassée, l’heure de se ménager pour durer. La famille, dont la fille, a tenté, mais ils sont peut-être moins têtus qu’elle, de  le “raisonner”. Elle n’y a pas mieux réussi. On dit souvent qu’un père est admiratif de sa fille, plus proche ; qu’un fils l’est de sa mère…

Elle a tout essayé, sa fille, l'ironie, la prévention, lui installer une chaise longue avec de l'eau, les souvenirs, l’exemple sacré des ancêtres qu’il vénérait. Elle n’a pas eu plus de succès.

 

 

Il aimait rire, avant, faire des blagues. Elle a mis longtemps à comprendre que l’or dur n’était pas un métal rare. Elle a réalisé, un peu vexée vers 9-10 ans. On est naïf et fier, d’avoir des bagues en or dur. Heureusement qu’elle ne s’en vantait pas et qu’elle n’était pas si bavarde. Il faut dire que longtemps, elle n’a pas eu d’humour, elle avait juste le goût de rire, énorme. On peut être couillon, petit ! Il y a longtemps, on disait qu’ils se ressemblaient. Comme elle prenait tout au mot, elle se re-vexait, parce qu’il était déjà chauve !

Son humour à lui n’était pas toujours compris, même des adultes. Il disait qu’ils ne savaient pas rire. Ca forme l’esprit d’un enfant, obligé de décoder pour comprendre. Elle a pris l’habitude elle-même de coder sans y faire attention. Il osait interpeller des inconnus, rieur, une plaisanterie toujours prête. Elle, elle rougissait pour un rien « mais enfin, Papa, on ne les connait pas !». Elle a attendu d’avoir 19 ans pour oser faire rire. Bien plus de temps pour coucher des mots de façon continue.

Lui, l'extravagant, il lui arrivait de s'exclamer comiquement : « mais où vas-tu chercher tout ça, Corine ? ». L'humour, oui, mais la décortication n'était pas son truc. Il appréciait cependant, mais eut peu d'occasions de le faire. 

S’ils se ressemblaient, ils avaient déjà aussi beaucoup de différences. Elle créé des codes comme on met ses chaussettes sans y penser, mais elle n’aime pas les secrets définitifs. Trop frileuse des incertitudes, elle a gardé aussi de l’adolescence cette impitoyable exigence de vérité au quotidien, ne sachant la taire que lorsque l’on ne peut rien y faire, ou que ça réduit l’autre consciemment. Ca, c’est vrai, elle ne supporte pas les réductions, les écrasements, que ce soit pour elle, ou quiconque. Ou bien si, celui des salauds. Elle est un peu Don Quichotte et un peu “folle” aussi. Peut-être trop pleine d’idées dont elle ne voudrait pas, qui empêchent celles qu’elles aiment de rester tranquilles, mais qui vivent. Idéaliste, sans aucun doute.

 

Il a toujours eu la qualité d’oublier vite, lui. Il a oublié les mots coupants comme ceux que l’on a, ado, ces mots qui ne supportent pas les compromis, qui ne pardonnent pas, qui voient et disent. ces coups de griffes qu’un chat torturé envoie.

Oh, il n’était pas un saint et pas psychologue. Un jour, au lieu de la consoler, il l’a regardée dents serrés, il lui a demandé alors qu’elle était étendue dans un lit d’hôpital, si elle n’avait pas honte “pour sa mère”. Elle avait déjà sa loupe dans le noir et s’est demandé où était le rapport entre sa mère et ses propres blessures. A 15 ans, on est fréquemment dans un monde très intérieur !

 

 

 

Les années ont passé. Cet homme si dur au mal, qui tenait toujours ses épaules en arrière se penche sur sa canne. Jamais elle n’aurait cru baisser le regard pour le regarder. Il lui demande si elle n’a pas grandi...

Il ralentit, puisqu’il le faut, évalue chaque portée du pas, se perd en calculs pour se retourner, mais le repos, non. Comment aider quelqu’un qui se tait et ne veut pas entendre ? “La tête dure du Basque” (Basque/Landais, en l'occurrence) est redoutable.

Ses rêves parlent dans son éveil. Ils forment un langage que l’on ne comprend pas. Il continue chaque état de conscience en le versant dans l’autre. Il s’endort comme un cataleptique, saisi. Il se reprend et voit la peur, celle ses autres, autour, conscient après quelques secondes. Il ne dit rien de la sienne, seulement, il fait des nœuds. Il attache tout. Il y a longtemps qu’il fait des nœuds. Elle a vu son angoisse.

Il chute et rechute. Il lui faut réfléchir à ce que l’on sait juste mécaniquement, maintenant ? C’est pire que les problèmes de son école d’ingénieur. Il s’aide comme il l’a toujours fait, en pensant qu’il y a bien un moyen, un autre, dans ces débâcles.

 

 

Les gens qui le voient, ne savent pas. Ce sont des inconnus, ils ont cette... bêtise si banale de lui parler comme à un enfant. Il n’a pas l’orgueil de sa fille qui déteste la vanité, mais ne supporte pas de baisser la tête. Un jour, elle a entendu un monsieur gronder une infirmière. Il avait 92 ans et ne supportait pas qu’on le prenne “pour un abruti”. Comme elle l’a compris ! On n’a pas le droit d’enlever la dignité à une personne qui perd ses forces. C’est de l’inconscience, du socialement admis, “le pépé”, “la mamie”. Ils ont même l’impression d’être gentils. Pour que ce soit gentil, il n'y a aucun besoin d'être du même sang, ni d'avoir partagé des années, mais encore faut-il qu'une proximité affective existe. 

 

2 exemples envers mon père : 

- Alors Papi (petit rire de gorge), quel âge avez-vous ? (ben, il n'a pas l'air de battre les records, non plus) 

- moi ? Je ne compte plus !

 

Ou :

- ça va Papi ?

- Oh en pleine forme (et d'ajouter, de la part d'un homme qui n'a jamais compris le moindre intérêt que représente tout ce qui commence par "psy" depuis Freud et ses prédécesseurs) : "je m'introspecte et je m'éclate" RigolantRigolantRigolant  C'est une génération... La guerre, l'introspection, ce serait presque un complexe !!!

 

 

Lui, il est encore libre. Il reconnait les chemins où ils se perdraient tous, ce qui redonne espoir à sa fille. Ca et les comptes que son cerveau sait faire. Son ingéniosité, ses astuces pour couvrir ce qui manque, travestir le besoin (qui continue à faire défaut !) dès qu’il peut, différer. Différer. Il est vrai qu'il est l'un des plus grands procrastinateurs que la terre ait jamais portés. Derrière une panne, il trouve toujours un subterfuge qui tient tant que ça tient !

 

Son esprit est toujours vaste de son imagination. Il fait semblant de plaisanter, faiblement. Ce qui l’agace à elle, c’est qu’il joue avec le danger. Elle ne blague pas avec ça. Pourtant, lui, a il a toujours aimé l’existence. Il a appris à arrêter sa peur quand son cœur courait, enfant, dans la guerre. Quand il parle des bombes, on comprend très bien qu'il se souvient, si près de lui, du sifflement qui se rapproche. Elle, elle a toujours tenu à ce que tout reste en place. Deux générations, quasiment, les séparent. C’est une phobique des départs, des abandons. Elle, elle aime le rêve, bavarder, les plaisirs, s’arrêter, la musique, les vieilles pierres. Pour elle, se prélasser n’a rien du défaut capital pour lequel on sera châtié. Et puis, quand bien même...

 

Elle aurait aimé pouvoir en “parler beau”, faire des vers, elle ne peut pas.

Un jour, elle arrêtera l’aile d’un moulin. L’air doit aller trop vite pour qu’on respire bien, c'est ça, hein? Elle reste comme ceux qui agissent, mais en regardant l’immensité de leur impuissance.

L’ordre des choses, tous les jours, elle a envie de lui retrousser la gueule, à ce satané fonctionnaire des temps et des lieux.

 

 

 

Sur la balance des fruits et légumes, les Pink Ladies qu'elle cherche sont les seules à être placées de façon déconcertante, avant "mangues", ou "bananes", on s'y perd un peu, mais si c’est dans leur ordre des choses..  ! Pas bien grave !

Elles étaient bonnes, ces pommes dans la cabane. Ces Ladies leur ressemblent. Les dames du jardin étaient plus biscornues, plus rouges que roses. Et vertes. Le goût, c’est le même, presque, un peu moins sauvage, un peu moins piquant.

- Madame, vous voulez de l’aide ?

- Non merci, j’ai trouvé.

 

 

Fermer les paupières, ouvrir la porte au joli coquillage. La poudre rose tombe sur les yeux.

Il n’y a plus de voix pour interdire, et dire ce qu’il faut voir. Ils sont tous là comme avant. Les brumes se sont levées comme un seul homme.

 

 

“J’y réfléchirai demain, sinon je deviendrai ....” disait Scarlett qui avait bien d’autres pouvoirs qu’elle.

 

 

 

 

 

Ps 24/01/19 : depuis 2017, tu t'es détruit en croyant te sauver. Mais de qui ? C'était une question de confiance. Sur tous les tons, aucun de nous n'a pu t'en empêcher. Tu changeais, mais c'était tellement toi, dans un excès désormais permanent, qu'il aurait été utile de savoir que quelques raisons indépendantes de la tienne s'ajoutaient au(x) problème(s)...

On y a laissé des plumes dans ses 2 ans. Tu y laisses ta vie. J'ai souvent pensé que tu serais largement centenaire un jour. Je suis presque persuadée que sans ces mauvaises fuites, sans ton obstination folle, sans les chutes que tu oubliais comme un chat oublie qu'il vomit et remange, tu y serais parvenu. Et que tu en aurais été raviClin d'œil. Menu, tu étais le plus costaud. Il aurait été si simple d'exercer chez toi la méticulosité que tu avais encore sur tous ces objets que tu avais voulu récupérer pour les réparer. Je te revois autrefois, quand tu dessinais, ou ce coup de pinceau précis sur ces pompes bleues. Je t'admirais.

Tes chutes, tes "libertés". Tu y a perdu ton autonomie. « Si vous me retirez le permis, vous me tuez ». Là aussi, tu m'avais sciée. Tu te serais tué, tu aurais pu tuer. Où voyais-tu une manœuvre ? Fuir... A force de t'affaiblir, de voir le diable où il n'était pas (les conseils de tes proches, de professionnels de santé, ou de sympathies), les délires ont commencé. Je crois qu'il faut beaucoup de recul pour parler à quelqu'un qui tient des propos sans queue ni tête et, qui plus est, se méfie de vous. Ca rend marteau.

Tu as plusieurs fois récupéré. Ton écriture était stupéfiante : d'incompréhensibles pattes de mouche, elle était redevenue presque aussi précise, presque tout à fait droite. Un miracle. 

 

  

Une infection pulmonaire s’est vite mêlée de la partie depuis ce mois de janvier. Toute ta vie, tu t'es cogné, es tombé sur la tête, elle qui contenait tant de choses, de la chimie à la technique, tellement de souvenirs, tant de précisions, d’autres talents que tu n’as donc jamais pris le temps d’exploiter pour toi. Tu es tombé sur la face en voulant rattraper un stylo sur le sol de ta chambre d'hôpital. 

Anorexie. Du mieux, moins bien, mieux. Un jour a fait mentir l’autre. Tu entendais, réagissais peu ou trop, arrachais les tuyaux, dormais beaucoup. La télé, c'était niet. « Tu vois bien qu'il ne peut pas se concentrer ». Pour les chansons, tu avais exprimé ton accord. Tu ne dormais pas encore sans cesse, mais beaucoup. Quand j'ai apporté et branché le CD de Robert Lamoureux, c'était à une heure de rupture de communication. Je l'ai fait chanter doucement, mais tu n'as pas reçu sa poésie. J'espérais qu'il amènerait la paix quelque part dans ta conscience. Moins célèbre que le canard (qui, le lundi matin, courait encore, dont j'adore la semaine de résistance et la victoire !), j'avais récemment découvert un Lamoureux poète, un peu par hasard. Essayer de te le faire découvrir sur des musiques de ton époque fut loin d'être un sacrifice, mais le but ne fut pas atteint. Je le regrettai fort. Lorsque tu as rouvert les yeux lors d'une autre visite, je t'en ai parlé, tu en a été surpris. Aucun souvenir de musique près du lit.

C'était il y a quelques jours.  

 

 

 

 

Syndrome de glissement. On ne nous a rien dit de précis, mais je pense à cette expression bien médicale.

Les sondes s’accrochent dans ses bras, dans sa poitrine. L’Oxynorm, un fort antalgique, passe dans la seringue électrique.

On dirait, mais dort-il ? Ses paupières sont à peine ouvertes. Je me demande s’il nous voit, ou si nous sommes aussi flous que ses yeux. Il ne répond à rien, ne réagit pas. Parler dans son oreille n’y change rien. J’ai depuis longtemps l’habitude qu’il soit sourd. J’ai eu peur de l’angoisse que je lui ai imaginé avoir, lors d’un réveil où il ne pourrait se souvenir de paroles familières, d’une oppression de solitude dans ces murs blancs, sans personne du cercle familial. L’angoisse, l’angoisse toujours elle, je ne connais pas celle des autres.  

J'ai cherché à comprendre, à savoir. J'ai lu. Les 10 signes annonciateurs... J'aurais dû penser qu'il faut laisser le malade tranquille. Je ne sais pas si j'aimerais qu'on me laisse en paix, mais il doit être impossible de traiter l'information, tel que je le vois. Si c'est pour renchérir dans la confusion, ce n'est pas l'objectif non plus. Il n’a jamais de sa vie été immobile. Le piège s’est refermé dans ce lit.

Il cligne des yeux deux fois ce 24/01, je ne sais pas s’il donne une réponse (mais il n’y avait pas de question), ou s’il veut comprendre où il se trouve.

Ce soir ne ressemble pas à un autre. Il fait des pauses respiratoires de quelques secondes, ses épaules se secouent, puis il respire profondément.

Il semble guéri de l’infection, épuisé.

On pourrait dire qu'Il meurt de guérir, de s'être trop battu, mais l'infection n'était "que" l'un des chaînons. Il se détache. C'est ahurissant. Il y a quelques jours dans son lit, il était au Pays Basque et moi, j’avais mis avec des amis des voitures sur un train !!! Le rêve et la réalité ne se détachaient qu’à regret l’un de l’autre, il en sursautait un peu, admettait « j’ai dû rêver, alors », mais il me parlait minutieusement de la pression des pompes. Les pompes… Cette vie active qu’il a mis tant de temps à arrêter est restée la dernière intacte.

Il n’a jamais cru à la mort. Il est vrai que rien de sensé ne semblait l’atteindre. Pour ne citer qu'elle, cette petite histoire d'un après-midi de canicule, lorsque mon père qui refusait de boire autre chose que des bières dut relever son acolyte de facilement 10 ans son cadet qui avait fait un malaise en déblayant avec lui quelques déchets. Je n'étais pas là, mais même en voulant savoir, je n'ai jamais eu la réponse à cette question simple : pourquoi, retraité depuis des années - plus sensible à la déshydratation sans que soient nécessaires des températures extrêmes - travailler par temps de canicule, sans urgence, dans son jardin au lieu d'attendre 18 h ?Incertain.  

 

Il n'y a jamais cru. Je lui souhaite de continuer de faire comme si elle n’existait pas.

Il est entouré de précautions. C’est comme ça que l’on meurt, maintenant. On laisse approcher la Camarde précautionneusement.

 

 

Les bombes, les maîtres (le "Père Souris" et sa balafre de la guerre de 14, Monsieur Dutreuil,...), la guerre que si jeune tu as connu, gardé chaque événement en tête, ton travail, les autres, l’entraide, les clients, le Pays Basque déjà enfant, tout seul sur ton vélo, le sapin que tu nous amenais à Noël, ta façon de surgir, tes clins d'œil, la caravane, nos retards, ton .. caractère, le virus des 2CV que tu m'as donné (moi + pour leur esthétique), tes pirouettes et nous, qui nous te restons une énigme. Et toi qui pars comme un mystère. 

Si tu as des signes à nous donner là où il n'y a plus de retard, quand tu te seras repéré, n’hésite pas. Là-bas, je crois qu'il n'y a pas de méthode (un de tes principes favoris), tu n'auras plus à réfléchir. Il faudra t'habituer à la paix. Peut-être aurons-nous, enfin, des dialogues. 

J'étais soufflée, comme je viens de le dire, que tu laisses toujours croire, sans en dire un mot, être régi par d’autres lois que celles du commun des mortels. Non par orgueil, mais par désinvolture volontaire, bouclier d'une peur, sans doute. Mais je sais, maintenant que je te vois arrêté, les os saillants, que je n’y croyais pas non plus, pas pour toi. Je ne pourrai jamais dire les regrets éternels que je sais avoir déjà, mais que nous aurions continué à ne pouvoir réparer. Pour cela, il faut vouloir changer. Je n'ai pu faire que maintenant des gestes que je n'ai jamais fait, que tu n'aurais peut-être pas compris tout de suite, pas de ton époque, mais tu en aurais été heureux. Aurais-je mieux fait avant ? Je pense que non, retenue par une pudeur stupide, par manque d'habitude avec toi. Mieux, non, parce que je ne savais pas et parce que je ne pouvais plus te regarder autrement. 

Je ne peux pas te dire que j'arrive à admettre ce qui suivra. D'une certaine manière, je te construis des projets de futur, à toi qui es déjà parti, mais que l'on fait respirer si péniblement.  

Il y a longtemps que je ne montre plus que j’ai eu des socquettes. Mes souvenirs sont aussi précis que tes bombes. En, pour certains, beaucoup plus jolis. 

A demain, Papa.  

 

               Corine 

 

 

 

 

 

 



25/01/2019
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