Mi(s)ScellaneaCorine

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Ode à la Poule, en joie et détresse sur terre

 

Texte re et revu


Laissons-nous bercer en ce début de semaine par l'admiration qu'offre l'observation d'une poule.

Tout d'abord esthétiquement : cette forme parfaite, le decrescendo des plumes, du haut de la queue au croupion, l'humour qui fait défaut dans le regard (faute de raisons d'en trouver), mais qui s'exprime dans la forme interrogative de l’animal ; chacun trouvera une préférence dans ses formes, ses couleurs, son port de tête, cette aimable et douce crête (plus courte que celle du coq) couronne de peau de la reine des champs. 

 

Pour la poule, elle est à l'origine d'un monde. On a toujours dit et elle le sait bien : « De qui est le premier ? L’œuf ou la poule ? » L’un dans l’autre, elle et lui en ressortent gagnants et son micro-cerveau aux principes sûrs et condensés l’a enregistré.


Elle sait qu'elle est de ces élites qui créent la vie tous les matins, mais que chaque jour, l'humain la lui jalouse et la lui ravit. Opiniâtre, courageuse et laborieuse, elle garde son pouvoir et récidive. Chaque matin de poule est une victoire qu’elle déclare haut et fort après ponte.

Dans sa tête de poule, il n'en est pas moins irrécusable que l'Homme ne pourrait vivre sans son apport protéique. Pas plus qu'il ne pourrait se priver longtemps du comble de perfection innée qu'est l'œuf. Elle est mère hein, aussi, bon : « c'est le plus beau mon fils ! ». Chaque 
œuf reçoit la même louange pénétrée. L'œuf est une oeuvre d'art macroscopique. 

La poule est à l'Origine et assure La Lignée 


D'autre part, le mot "psychosomatique" aurait pu être inventé pour et par la poule. En effet, le laps de temps qui s'écoule entre la frayeur d'une poule et les effets délétères de cette émotion sur sa digestion hautement précipitée atteint une fraction de seconde - en comptant large. 
La poule traduit par son corps ses frayeurs, la poule est l'alliée symbolique du névrosé (il y avait longtemps qu'il n'en était question !!!). 
Ne vous méprenez pas sur la dignité que j'introduis dans mon propos. Ce dernier (une bonne partie du monde - il y a des échelons !), par l'observation d'une poule, peut fort à propos estimer que tout est relatif. Au seuil le plus timoré de ses espoirs, le névrosé sait généralement masquer ses angoisses existentielles. A l'inverse, ce charmant gallinacé, en temps de stress, affiche un globe oculaire dont la fixité précède une mobilité panique, éloquente pour le moins clairvoyant de ses spectateurs.

Ca rassure et ça protège. Le névropathe est en cela plus discret. On n'en a jamais vu un battre des bras tout en fixant son adversaire de profil. C'est moins franc, mais on ne peut pas tout avoir. Il est bon que l'opposant en sache le moins possible. 


La poule nous apprend donc, à l'instar d'Einstein (qui n'avait pas, physiologiquement, le plus gros cerveau du genre humain, et pourtant... !) la relativité. Ayons l'élégance d'insister sur ses mérites.



Elle ne vit qu'au grand air  : c’est marqué sur les boîtes InnocentPour la poule, la vie s'écoulerait au grand air, donc, dans un univers parfait si celui-ci ne logeait que ses semblables et protégeait les céréales dont elle se délecte. Mais ça n'est déjà pas si mal, le ciel n'est pas si bas, elle n'a pas lu Baudelaire, voit la pluie où elle est et les araignées où elles sont. S'il y a des prisons c'est pour ses copines un peu plus loin, les malheureuses. Il pleut et c'est nécessaire. Elle ressent une satisfaction pleine entre deux sources d'inquiétudes, toutes ailes déployées. Ca suffit bien à tempérer son paradis. Elle ne lira rien sur le spleen. Rien, rien, rien c'est dit et glapit, quitte à faire la grue.  

 

 

En tant que femelle fidèle, s'Il n'est pas lui-même à l'origine du monde, son étalon de compagnon fait l'ouverture des journées rurales. Elle maudit l'invention de cette saleté d’objet qu’est le réveil. Sa place, sa côte d'importance a baissé en bourse. C'est une injustice. Le coq est infaillible. Les clés se rouillent, les piles se déchargent, le numérique se fatigue et ça ne vaut plus rien. Une seconde reste ce qu'elle est et ne veut rien entendre de l'obsolescence. Le coq n'en continue pas moins son œuvre et donne le tempo de la journée. Pour la poule, il n’est pas seulement le maître, le géniteur ; il est aussi le musicien, l’artiste. Il a légitimité à régner en polygame.


La vie disions-nous, serait paisible, entourée des poussins que l'Homme lui laisse de temps à autre voir grandir. Pour finir par les perdre de vue sans jamais savoir pourquoi. 

Pour notre chère poule, tout est raison d'être, si l'on omet le drame de ces séparations et du chômage partiel de son homme. Il va de soi que l'humain est dépendant et parfois drôle quand son homologue femelle découvre en été la terminaison de ce qui lui sert de pattes. Les griffes de l'humaine fleurissent en cerises ou en framboises laquées ! Merveilles des merveilles ! Chaque été, la poule poursuit les dames adeptes de peinture podale et picore assidûment les innocentes qui lui passent sous le bec et ignorent ce penchant. On peut rire sans l'afficher. La poule sait tenir son bec raide et impassible, mais confectionne des ex-voto de paille à la gloire de Saint L'Oréal ou de ses confrères, auteurs de si agréables choses. Il y a même des "fruits" de laque qu'elle ne connaissait pas. 


Mais le cruel destin conduit chaque poule à une vision d’horreur trop précoce de la Grande Faucheuse.
La poule, si insouciante sans l’Homme, se retrouve enfermée dans un sac sous vide, l’œil à jamais hagard. Elle sait enfin. Ils sont peu à l'aimer vraiment, ces bipèdes, elle le sentait. Il en va de même pour ses rejetons embryonnaires contenus dans des boîtes estampillées, tatoués d'un numéro avant d'avoir vécu. L'humain fait un testament, laisse des conseils de leçons de vie à ses petits. La poule n'en a pas le temps, faute d'en être avertie. Cloîtrée dans cette fin, sous ce plastique facturé dont le froid prévient des flaveurs fétides, se sont insinués dans les couloirs de son cerveau les mots ignorés d'un étranger à la basse-cour : « et de longs corbillards, sans tambours ni musique défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir, vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique, sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.». Merde, elle ne l'a pas lu, mais il est là quand même. 

Son âme s'est envolée très rapidement très haut, de ne plus plus supporter la pleine conscience après la mort, de ne pas vouloir savoir ce qu'elle n'avait jamais souhaité connaître. 

Avant cet ultime envol spirituel, avant la désincarnation complète, elle s'est retournée sur le chapitre final : quand on pense que c’est pour atterrir, par infortune, dans la "cocotte" (ô ironie du sort et narquoiserie du langage humain) de rustres dont certains méprisent les temps de cuisson ? Et se retrouver, buvant la coupe de la honte jusqu’à la lie, la cuisse rôtie en l’air ?

Au moins, Jean-Pierre Coffe, lui, parlait aux bêtes et aux légumes avant de les cuisiner.

Finalement, l’affolement de ce globe oculaire s’explique.
On peut comprendre qu’elle nous fuie.

 

 

 

La poule a pu poser ses ailes, apaisée en paradis. Il n'y a plus de réveil qui malmène le chant du coq. Quand il viendra la rejoindre, il ne faudra pas lui dire trop vite qu'il n'y a plus de nuit, ni de temps. Il ne comprendrait pas.

Le ciel n'a plus de poids. Elle s'est remise à chanter, sans couac. Se sont approchées les ombres claires de ses petits.   

                                           

                                                                    Corine

 

 

 

 

 

 



12/11/2018
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